II

Le jour baisse ; on atteint quelque colline chauve

Que l’âpre solitude entoure, immense et fauve,

Et dont pas même un arbre, une roche, un buisson

Ne coupe l’immobile et lugubre horizon ;

Les tchaouchs, aux lueurs des premières étoiles,

Piquent des pieux en terre et déroulent les toiles ;

En cercle autour du camp les feux sont allumés,

Il est nuit. Gloire à Dieu ! voyageurs las, dormez.

Non, veillez ! car autour de vous tout se réveille.

Écoutez ! écoutez ! debout ! prêtez l’oreille !

Voici qu’à la clarté du jour zodiacal,

L’épervier gris, le singe obscène, le chacal,

Les rats abjects et noirs, les belettes, les fouines,

Nocturnes visiteurs des tentes bédouines,

L’hyène au pas boiteux qui menace et qui fuit,

Le tigre au crâne plat où nul instinct ne luit,

Dont la férocité ressemble à de la joie,

Tous les oiseaux de deuil et les bêtes de proie,

Vers le feu rayonnant poussant d’étranges voix,

De tous les points de l’ombre arrivent à la fois.

Dans la brume, pareils aux brigands qui maraudent,

Bandits de la nature, ils sont tous là qui rôdent.

Le foyer se reflète aux yeux des léopards.

Fourmillement terrible ! on voit de toutes parts

Des prunelles de braise errer dans les ténèbres.

La solitude éclate en hurlements funèbres.

Des pierres, des fossés, des ravins tortueux,

De partout, sort un bruit farouche et monstrueux.

Car lorsqu’un pas humain pénètre dans ces plaines,

Toujours, à l’heure où l’ombre épanche ses haleines,

Où la création commence son concert,

Le peuple épouvantable et rauque du désert,

Horrible et bondissant sous les pâles nuées,

Accueille l’homme avec des cris et des huées.

Bruit lugubre ! chaos des forts et des petits

Cherchant leur proie avec d’immondes appétits !

L’un glapit, l’autre rit, miaule, aboie, ou gronde.

Le voyageur invoque en son horreur profonde

Ou son saint musulman ou son patron chrétien.

Soudain tout fait silence et l’on n’entend plus rien.

Le tumulte effrayant cesse, râles et plaintes

Meurent comme des voix par l’agonie éteintes,

Comme si, par miracle et par enchantement,

Dieu même avait dans l’ombre emporté brusquement

Renards, singes, vautours, le tigre, la panthère,

Tous ces monstres hideux qui sont, sur notre terre,

Ce que sont les démons dans le monde inconnu.

Tout se tait.

                      

Tout se tait.Le désert est muet, vaste et nu.

L’œil ne voit sous les cieux que l’espace sans borne.

Tout à coup, au milieu de ce silence morne

Qui monte et qui s’accroît de moment en moment,

S’élève un formidable et long rugissement !

C’est le lion.

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