Donc cet homme s’est dit : — « Le maître des armées,
L’empereur surhumain
Devant qui, gorge au vent, pieds nus, les renommées
Volaient, clairons en main,
« Napoléon, quinze ans, régna dans les tempêtes,
Du sud à l’aquilon.
Tous les rois l’adoraient, lui, marchant sur leurs têtes,
Eux, baisant son talon ;
« Il prit, embrassant tout dans sa vaste espérance,
Madrid, Berlin, Moscou ;
Je ferai mieux, je vais enfoncer à la France
Mes ongles dans le cou !
« La France libre et fière et chantant la concorde,
Marche à son but sacré ;
Moi, je vais lui jeter par derrière une corde
Et je l’étranglerai.
« Nous nous partagerons, mon oncle et moi, l’histoire ;
Le plus intelligent,
C’est moi, certes ! il aura la fanfare de gloire,
J’aurai le sac d’argent.
« Je me sers de son nom, splendide et vain tapage,
Tombé dans mon berceau.
Le nain grimpe au géant. Je lui laisse sa page,
Mais j’en prends le verso.
« Je me cramponne à lui. C’est moi qui suis le maître.
J’ai pour sort et pour loi
De surnager sur lui dans l’histoire, ou peut-être
De l’engloutir sous moi.
« Moi, chat-huant, je prends cet aigle dans ma serre.
Moi si bas, lui si haut,
Je le tiens ! je choisis son grand anniversaire,
C’est le jour qu’il me faut.
« Ce jour-là, je serai comme un homme qui monte
Le manteau sur ses yeux ;
Nul ne se doutera que j’apporte la honte
À ce jour glorieux.
« J’irai plus aisément saisir mon ennemie
Dans mes poings meurtriers ;
La France ce jour-là sera mieux endormie
Sur son lit de lauriers. » —
Alors il vint, cassé de débauches, l’œil terne,
Furtif, les traits pâlis,
Et ce voleur de nuit alluma sa lanterne
Au soleil d’Austerlitz !