VII

Toi qui bats de ton flux fidèle

La roche où j’ai ployé mon aile,

Vaincu, mais non pas abattu,

Gouffre où l’air joue, où l’esquif sombre,

Pourquoi me parles-tu dans l’ombre ?

O sombre mer, que me veux-tu ?

Tu n’y peux rien ! Ronge tes digues,

Epands l’onde que tu prodigues,

Laisse-moi souffrir et rêver ;

Toutes les eaux de ton abîme,

Hélas ! passeraient sur ce crime,

O vaste mer, sans le laver !

Je comprends, tu veux m’en distraire ;

Tu me dis : — Calme-toi, mon frère,

Calme-toi, penseur orageux ! —

Mais toi-même alors, mer profonde,

Calme ton flot puissant qui gronde,

Toujours amer, jamais fangeux !

Tu crois en ton pouvoir suprême,

Toi qu’on admire, toi qu’on aime,Toi qui ressembles au destin,

Toi que les cieux ont azurée,

Toi qui dans ton onde sacrée

Laves l’étoile du matin !

Tu me dis : — Viens, contemple, oublie ! —

Tu me montres le mât qui plie,

Les blocs verdis, les caps croulants,

L’écume au loin dans les décombres,

S’abattant sur les rochers sombres

Comme une troupe d’oiseaux blancs,

La pêcheuse aux pieds nus qui chante,

L’eau bleue où fuit la nef penchante,

Le marin, rude laboureur,

Les hautes vagues en démence ;

Tu me montres ta grâce immense

Mêlée à ton immense horreur ;

Tu me dis : — Donne-moi ton âme ;

Proscrit, éteins en moi ta flamme ;

Marcheur, jette aux flots ton bâton ;

Tourne vers moi ta vue ingrate. —

Tu me dis : — J’endormais Socrate ! —

Tu me dis : — J’ai calmé Caton !

Non ! respecte l’âpre pensée,

L’âme du juste courroucée,

L’esprit qui songe aux noirs forfaits !

Parle aux vieux rochers, tes conquêtes,
Et laisse en repos mes tempêtes !

D’ailleurs, mer sombre, je te hais !

O mer ! n’est-ce pas toi, servante,

Qui traînes sur ton eau mouvante,

Parmi les vents et les écueils,

Vers Cayenne aux fosses profondes,

Ces noirs pontons qui sur tes ondes

Passent comme de grands cercueils !

N’est-ce pas toi qui les emportes

Vers le sépulcre ouvrant ses portes,

Tous nos martyrs au front serein,

Dans la cale où manque la paille,

Où les canons pleins de mitraille,

Béants, passent leur cou d’airain !

Et s’ils pleurent, si les tortures

Font fléchir ces hautes natures,

N’est-ce pas toi, gouffre exécré,

Qui te mêles à leur supplice,

Et qui, de ta rumeur complice,

Couvres leur cri désespéré !

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