XVII. Mugitusque Boum

Mugissement des bœufs, au temps du doux Virgile,

Comme aujourd’hui, le soir, quand fuit la nuit agile,

Ou, le matin, quand l’aube aux champs extasiés

Verse à flots la rosée et le jour, vous disiez :

« Mûrissez, blés mouvants ! prés, emplissez-vous d’herbes !

« Que la terre, agitant son panache de gerbes,

« Chante dans l’onde d’or d’une riche moisson !

« Vis, bête ; vis, caillou ; vis, homme ; vis, buisson ;

« À l’heure où le soleil se couche, où l’herbe est pleine

« Des grands fantômes noirs des arbres de la plaine

« Jusqu’aux lointains coteaux rampant et grandissant,

« Quand le brun laboureur des collines descend

« Et retourne à son toit d’où sort une fumée,

« Que la soif de revoir sa femme bien-aimée

« Et l’enfant qu’en ses bras hier il réchauffait,

« Que ce désir, croissant à chaque pas qu’il fait,

« Imite dans son cœur l’allongement de l’ombre !

« Êtres ! choses ! vivez ! sans peur, sans deuil, sans nombre !

« Que tout s’épanouisse en sourire vermeil !

« Que l’homme ait le repos et le bœuf le sommeil !

« Vivez ! croissez ! semez le grain à l’aventure !

« Qu’on sent frissonner dans toute la nature,

« Sous la feuille des nids, au seuil blanc des maisons,

« Dans l’obscur tremblement des profonds horizons,

« Un vaste emportement d’aimer, dans l’herbe verte,

« Dans l’antre, dans l’étang, dans la clairière ouverte,

« D’aimer sans fin, d’aimer toujours, d’aimer encor,

« Sous la sérénité des sombres astres d’or !

« Faites tressaillir l’air, le flot, l’aile, la bouche,

« Ô palpitations du grand amour farouche !

« Qu’on sente le baiser de l’être illimité !

« Et, paix, vertu, bonheur, espérance, bonté,

« Ô fruits divins, tombez des branches éternelles ! »

Ainsi vous parliez, voix, grandes voix solennelles ;

Et Virgile écoutait comme j’écoute, et l’eau

Voyait passer le cygne auguste, et le bouleau

Le vent, et le rocher l’écume, et le ciel sombre

L’homme… Ô nature ! abîme ! immensité de l’ombre !

Marine-Terrace, juillet 1855.

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