XXVIII À mes amis S. B. ET L. B.

Buen viage ?

Goya.

Amis, mes deux amis, mon peintre, mon poëte !

Vous me manquez toujours, et mon âme inquiète

Vous redemande ici.

Des deux amis, si chers à ma lyre engourdie,

Pas un ne m’est resté. Je t’en veux, Normandie,

De me les prendre ainsi !

Ils emportent en eux toute ma poésie ;

L’un, avec son doux luth de miel et d’ambroisie,

L’autre avec ses pinceaux.

Peinture et poésie où s’abreuvait ma muse,

Adieu votre onde ! Adieu l’Alphée et l’Aréthuse

Dont je mêlais les eaux !

Adieu surtout ces cœurs et ces âmes si hautes,

Dont toujours j’ai trouvé pour mes maux et mes fautes

Si tendre la pitié !

Adieu toute la joie à leur commerce unie !

Car tous deux, ô douceur ! si divers de génie,

Ont la même amitié !

Je crois d’ici les voir, le poëte et le peintre.

Ils s’en vont, raisonnant de l’ogive et du cintre

Devant un vieux portail ;

Ou, soudain, à loisir, changeant de fantaisie,

Poursuivent un œil noir dessous la jalousie,

À travers l’éventail.

Oh ! de la jeune fille et du vieux monastère,

Toi, peins-nous la beauté, toi, dis-nous le mystère.

Charmez-nous tour à tour.

À travers le blanc voile et la muraille grise

Votre œil, ô mes amis, sait voir Dieu dans l’église,

Dans la femme l’amour !

Marchez, frères jumeaux, l’artiste avec l’apôtre !

L’un nous peint l’univers que nous explique l’autre ;

Car, pour notre bonheur,

Chacun de vous sur terre a sa part qu’il réclame.

À toi, peintre, le monde ! à toi, poëte, l’âme !

À tous deux le Seigneur !

15 mai 1830.

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