XX

Beau, frais, souriant d’aise à cette vie amère.
Sainte-Beuve.

Dans l’alcôve sombre,

Près d’un humble autel

L’enfant dort à l’ombre

Du lit maternel.

Tandis qu’il repose,

Sa paupière rose,

Pour la terre close,

S’ouvre pour le ciel.

Il fait bien des rêves.

Il voit par moments

Le sable des grèves

Plein de diamants ;

Des soleils de flammes,

Et de belles dames

Qui portent des âmes

Dans leurs bras charmants.

Songe qui l’enchante !

Il voit des ruisseaux.

Une voix qui chante

Sort du fond des eaux.

Ses sœurs sont plus belles.

Son père est près d’elles.

Sa mère a des ailes

Comme les oiseaux.

Il voit mille choses

Plus belles encore ;

Des lys et des roses

Plein le corridor ;

Des lacs de délice

Où le poisson glisse,

Où l’onde se plisse

À des roseaux d’or.

Enfant, rêve encore !

Dors, ô mes amours !

Ta jeune âme ignore

Où s’en vont tes jours.

Comme une algue morte

Tu vas, que t’importe !

Le courant t’emporte,

Mais tu dors toujours !

Sans soin, sans étude,

Tu dors en chemin ;

Et l’inquiétude,

À la froide main,

De son ongle aride

Sur ton front candide

Qui n’a point de ride,

N’écrit pas : Demain !

Il dort, innocence !

Les anges sereins

Qui savent d’avance

Le sort des humains,

Le voyant sans armes,

Sans peur, sans alarmes,

Baisent avec larmes

Ses petits mains.

Leurs lèvres effleurent

Ses lèvres de miel.

L’enfant voit qu’ils pleurent

Et dit : Gabriel !

Mais l’ange le touche,

Et, berçant sa couche,

Un doigt sur sa bouche,

Lève l’autre au ciel !

Cependant sa mère,

Prompte à le bercer,

Croit qu’une chimère

Le vient oppresser.

Fière, elle l’admire,

L’entend qui soupire,

Et le fait sourire

Avec un baiser.

10 novembre 1831.

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