XII La sultane favorite

Perfide comme l’onde.
Shakespeare.

N’ai-je pas pour toi, belle juive,

Assez dépeuplé mon sérail ?

Souffre qu’enfin le reste vive.

Faut-il qu’un coup de hache suive

Chaque coup de ton éventail ?

Repose-toi, jeune maîtresse.

Fais grâce au troupeau qui me suit.

Je te fais sultane et princesse :

Laisse en paix tes compagnes, cesse

D’implorer leur mort chaque nuit.

Quand à ce penser tu t’arrêtes,

Tu viens plus tendre à mes genoux ;

Toujours je comprends dans les fêtes

Que tu vas demander des têtes

Quand ton regard devient plus doux.

Ah ! jalouse entre les jalouses !

Si belle avec ce cœur d’acier !

Pardonne à mes autres épouses.

Voit-on que les fleurs des pelouses

Meurent à l’ombre du rosier ?

Ne suis-je pas à toi ? Qu’importe,

Quand sur toi mes bras sont fermés,

Que cent femmes qu’un feu transporte

Consument en vain à ma porte

Leur souffle en soupirs enflammés ?

Dans leur solitude profonde,

Laisse-les t’envier toujours ;

Vois-les passer comme fuit l’onde ;

Laisse-les vivre : à toi le monde !

À toi mon trône, à toi mes jours !

À toi tout mon peuple — qui tremble !

À toi Stamboul qui, sur ce bord

Dressant mille flèches ensemble,

Se berce dans la mer, et semble

Une flotte à l’ancre qui dort !

À toi, jamais à tes rivales,

Mes spahis aux rouges turbans,

Qui, se suivant sans intervalles,

Volent courbés sur leurs cavales

Comme des rameurs sur leurs bancs !

À toi Bassora, Trébizonde,

Chypre où de vieux noms sont gravés,

Fez où la poudre d’or abonde,

Mosul où trafique le monde,

Erzeroum aux chemins pavés !

À toi Smyrne et ses maisons neuves

Où vient blanchir le flot amer !

Le Gange redouté des veuves !

Le Danube qui par cinq fleuves

Tombe échevelé dans la mer !

Dis, crains-tu les filles de Grèce ?

Les lys pâles de Damanhour ?

Ou l’œil ardent de la négresse
Qui, comme une jeune tigresse,

Bondit rugissante d’amour ?

Que m’importe, juive adorée,

Un sein d’ébène, un front vermeil !

Tu n’es point blanche ni cuivrée,

Mais il semble qu’on t’a dorée

Avec un rayon du soleil.

N’appelle donc plus la tempête,

Princesse, sur ces humbles fleurs,

Jouis en paix de ta conquête,

Et n’exige pas qu’une tête

Tombe avec chacun de tes pleurs !

Ne songe plus qu’aux frais platanes,

Au bain mêlé d’ambre et de nard,

Au golfe où glissent les tartanes…

Il faut au sultan des sultanes ;

Il faut des perles au poignard !

22 octobre 1828.

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