XIV Le château-fort

Ἔῤῥωσο.

À quoi pensent ces flots, qui baisent sans murmure

Les flancs de ce rocher luisant comme une armure ?

Quoi donc ! n’ont-ils pas vu dans leur propre miroir,

Que ce roc, dont le pied déchire leurs entrailles,

A sur sa tête un fort, ceint de blanches murailles,

Roulé comme un turban autour de son front noir ?

Que font-ils ? à qui donc gardent-ils leur colère ?

Allons ! acharne-toi sur ce cap séculaire,

Ô mer ! Trêve un moment aux pauvres matelots !

Ronge, ronge ce roc ! qu’il chancelle, qu’il penche,

Et tombe enfin, avec sa forteresse blanche,

La tête la première, enfoncé dans les flots !

Dis, combien te faut-il de temps, ô mer fidèle,

Pour jeter bas ce roc avec sa citadelle ?

Un jour ? un an ? un siècle ?… Au nid du criminel

Précipite toujours ton eau jaune de sable !

Que t’importe le temps, ô mer intarissable ?

Un siècle est comme un flot dans ton gouffre éternel.

Engloutis cet écueil ! que ta vague l’efface

Et sur son front perdu toujours passe et repasse !

Que l’algue aux verts cheveux dégrade ses contours !

Que, sur son flanc couché, dans ton lit sombre il dorme !

Qu’on n’y distingue plus sa forteresse informe !

Que chaque flot emporte une pierre à ses tours !

Afin que rien n’en reste au monde, et qu’on respire

De ne plus voir la tour d’Ali, pacha d’Épire ;

Et qu’un jour, côtoyant les bords qu’Ali souilla,

Si le marin de Cos dans la mer ténébreuse

Voit un grand tourbillon dont le centre se creuse,

Aux passagers muets il dise : C’était là !

26 novembre 1828.

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