LV HORREUR SACRÉE.

Souvent, dans le hallier où l’églogue hypocrite

S’en va chantant,

J’ai tout à coup cessé de lire Théocrite

Inquiétant ;

Homère fait trembler ; un gouffre est dans Eschyle ;

Parfois je veux

M’enfuir quand Circé passe ou quand je vois Achille

Pris aux cheveux ;

Les aigles sur les bords du Gange et du Caystre

Sont effrayants ;

Rien de grand qui ne soit confusément sinistre ;

Les noirs pæans,

Les psaumes, la chanson monstrueuse du mage

Ézéchiel,

Font devant notre œil fixe errer la vague image

D’un affreux ciel.

L’empyrée est l’abîme, on y plonge, on y reste

Avec terreur.

Car planer, c’est trembler ; si l’azur est céleste,

C’est par l’horreur.

L’épouvante est au fond des choses les plus belles ;

Les bleus vallons

Font parfois reculer d’effroi les fauves ailes

Des aquilons.

Ils sont pleins de regards et d’aspects ; et les sages,

Seuls dans les bois,

Méditent, attentifs dans l’ombre à des passages

D’yeux et de voix ;

Le poète serein contient l’obscur prophète ;

Orphée est noir ;

C’est dans une lueur mystérieuse, faite

D’aube et de soir,

C’est en regardant fuir sous l’insondable voûte

D’affreux griffons,

Qu’Amos effaré songe et qu’Isaïe écoute

Les bruits profonds ;

Alcée est sidéral, Lucrèce est redoutable,

Job voit l’Esprit ;

Le Sphinx vient par moments s’accouder sur la table

Où Dante écrit ;

Plaute par Thalia, formidable bouffonne,

S’entend gronder ;

Et Pindare en levant les yeux voit Tisiphone

Le regarder ;

De là tant de beautés difformes dans leurs œuvres ;

Le vers charmant

Est par la torsion subite des couleuvres

Pris brusquement ;

À de certains moments toutes les jeunes flores

Dans la forêt

Ont peur, et sur le front des blanches métaphores

L’ombre apparaît ;

C’est qu’Horace ou Virgile ont vu soudain le spectre

Noir se dresser ;

C’est que là-bas, derrière Amaryllis, Électre

Vient de passer.

La nature est en vain pleine de fleurs, de fêtes,

Et de pardons,

Les poètes ont beau rayonner sur nos têtes,

Nous entendons

Parler de sombres voix à Delphe, aux Propylées,

Et dans Endor ;

Et la nuit a toujours des méduses mêlées

Aux astres d’or.

7 décembre.

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