III

Oui. Tout, c’est l’harmonie. Adorons et pensons.

Livrons notre âme ouverte aux cris comme aux chansons.

Le vent fuit. Regardons entrer dans l’invisible

Ce javelot lancé vers l’éternelle cible ;

L’arbre pousse ; observons cette croissance ; ayons

L’œil attentif à l’onde, aux souffles, aux rayons ;

Sondons de toutes parts à la fois le mystère.

Notre race, depuis qu’elle est sur cette terre,

Travaille, et ne sait rien que ce que l’homme apprit

Dans ces dispersions superbes de l’esprit.

Oh ! c’est une raison de contempler sans cesse,

Que ce ciel sans orgueil, ce gouffre sans bassesse,

Cette guerre d’où naît la paix, ces grands reflux

Des éléments s’offrant entre eux leurs superflus

Et mêlant par les bords leurs océans farouches.

Oh ! l’unanimité sort de toutes les bouches !

Que c’est beau, cet accord des contraires, disant

Le même mot sublime, effrayant, innocent !


*

Sombre unité ! La loi des choses est la nôtre.

Une saison ne sert qu’à faire venir l’autre ;

Hier en reculant fait avancer Demain ;

Profonde identité. Sort ! nuit !

Profonde identité. Sort ! nuit ! L’esprit humain

Contient le même songe obscur que la nature ;

Il a sur l’infini comme elle une ouverture,

Mais l’obstacle est dans l’ombre, et nous y distinguons

Une porte que nul n’ébranle sur ses gonds,

C’est l’inconnu. L’esprit de l’homme, en qui tout vibre,

Va heurter cette porte avec une aile libre ;

Nous la sentons, au fond de l’abîme serein,

Faite d’on ne sait quel mystérieux airain ;

Quelqu’un parle tout haut derrière cette porte ;

De ce que cette voix dit, et des mots qu’emporte

Le vent semblable au rêve, et que nous saisissons,

Naissent tous nos espoirs comme tous nos frissons.

Et ce sont ces mots-là qui viennent jusqu’à l’homme

À travers les songeurs de Judée et de Rome,

À travers Jérémie et Lucrèce, à travers

Ce tumulte orageux de strophes et de vers

Qui se mêle au ciel sombre et sort, fumée ardente,

De tous ces volcans, Job, Moïse, Eschyle, Dante.

Ces inspirés, en qui la nuit s’unit au jour,

Avaient ce grand courroux qui naît d’un grand amour ;

Une fournaise était en leur cœur amassée.

Oui, les poëtes saints vont chercher la pensée

Aux mêmes profondeurs que les volcans le feu ;

Juvénal, noir, rongé par la muse, est un lieu

Autant qu’un homme, un mont de haine, et s’accoutume

À la colère ainsi que Vésuve au bitume.

Le génie est un puits d’éruptions ; un cri

Sort d’un cratère, ou bien d’un poëte attendri ;

La lave chante et bout, l’hymne s’embrase et souffre ;

L’ardent prophète jette une clameur de gouffre,

Et Dieu, que nul ne vit et que tout devina,

Gronde dans Isaïe autant que dans l’Etna.

1er juin 1870.

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