XL

Ainsi nous n’avons plus Strasbourg, nous n’avons plus

Metz, la chaste maison des vieux Francs chevelus !

Ces villes, ces cités, déesses crénelées,

Ce teuton nous les a tranquillement volées !

Ainsi le Chasseur Noir a ces captives-là !

Ainsi ce cavalier monstrueux, Attila,

Horrible, les attache aux arçons de sa selle ;

À l’un pend l’héroïne, à l’autre la pucelle !

Et les voilà, râlant dans le carcan de fer,

Metz où régna Clovis, Strasbourg d’où vint Kléber !

Le vautour a ces monts et ces prés sous son aile !

Et tout cela pourtant, c’est la France éternelle !

C’est à nous, ce Haut-Rhin où la Gaule apparaît !

J’en atteste l’été, le printemps, la forêt,

Les astres toujours purs, les roses toujours neuves

Et le ruissellement d’émeraudes des fleuves !

J’en atteste l’épi doré, le nid d’oiseau,

Et le petit enfant qui, nu dans son berceau,

Joue avec son pied rose en attendant la France !

J’en atteste l’œil bleu de la sainte espérance,

L’honneur, le droit, l’autel où l’on prie à genoux,

Cette Lorraine et cette Alsace, c’est à nous !

Là rêva Gutenberg, là se dressa Lothaire ;

Ce ciel est notre azur, ce champ est notre terre ;

Nous nous sommes laissé prendre ces grands pays !

Nous, France !

Nous, France ! En même temps nous sommes envahis

Par le prêtre, et flairés par la louve romaine !

Ainsi nous subissons la schlague qui nous mène !

Ainsi nous acceptons sur nous le traînement

Du syllabus gothique et du sabre allemand !

Ainsi nous permettons au reître, au bonze, au cuistre,

De reclouer sur nous le grand linceul sinistre,

L’ignorance, l’erreur, le mensonge et la nuit !

Ainsi l’immense aurore aux cieux s’évanouit !

Ainsi, pourvu qu’il ait au poing de l’eau bénite,

Pourvu qu’après avoir fui devant le samnite,

Il dresse un sombre glaive à la gloire inconnu,

Le premier misérable imbécile venu

Peut nous crier : Paix là, vous tous ! Gare à qui bouge !

Mais nos pères auraient mordu dans du fer rouge !

2 juin 1875.

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