III Le Conseil d’État et le Corps Législatif

Il y a aussi le conseil d’État et le corps législatif : le conseil d’État joyeux, payé, joufflu, rose, gras, frais, l’œil vif, l’oreille rouge, le verbe haut, l’épée au côté, du ventre, brodé en or ; le corps législatif, pâle, maigre, triste, brodé en argent. Le conseil d’État va, vient, entre, sort, revient, règle, dispose, décide, tranche, ordonne, voit face à face Louis-Napoléon. Le corps législatif marche sur la pointe du pied, roule son chapeau dans ses mains, met le doigt sur sa bouche, sourit humblement, s’assied sur le coin de sa chaise, et ne parle que quand on l’interroge. Ses paroles étant naturellement obscènes, défense aux journaux d’y faire la moindre allusion. Le corps législatif vote les lois et l’impôt, article 39, et quand, croyant avoir besoin d’un renseignement, d’un détail, d’un chiffre, d’un éclaircissement, il se présente chapeau bas à la porte des ministères pour parler aux ministres, l’huissier l’attend dans l’antichambre et lui donne, en éclatant de rire, une chiquenaude sur le nez. Tels sont les droits du corps législatif.

Constatons que cette situation mélancolique commençait en juin 1852 à arracher quelques soupirs aux individus élégiaques qui font partie de la chose. Le rapport de la commission du budget restera dans la mémoire des hommes comme un des plus déchirants chefs-d’œuvre du genre plaintif. Redisons ces suaves accents :

« Autrefois, vous le savez, les communications nécessaires en pareil cas existaient directement entre les commissions et les ministres. C’est à ceux-ci qu’on s’adressait pour obtenir les documents indispensables à l’examen des affaires. Ils venaient eux-mêmes, avec les chefs de leurs différents services, donner des explications verbales, suffisantes souvent pour prévenir toute discussion ultérieure. Et les résolutions que la commission du budget arrêtait après les avoir entendus étaient directement soumises à la chambre.

« Aujourd’hui nous ne pouvons avoir de rapport avec le gouvernement que par l’intermédiaire du conseil d’État, qui, confident et organe de sa pensée, a seul le droit de transmettre au corps législatif les documents qu’à son tour il se fait remettre par les ministres.

« En un mot, pour les rapports écrits comme pour les communications verbales, les commissaires du gouvernement remplacent les ministres avec lesquels ils ont dû préalablement s’entendre.

« Quant aux modifications que la commission peut vouloir proposer, soit par suite d’adoption d’amendements présentés par des députés, soit d’après son propre examen du budget, elles doivent, avant que vous soyez appelés à en délibérer, être renvoyées au conseil d’État et y être discutées.

« Là (il est impossible de ne pas le faire remarquer) elles n’ont pas d’interprètes, pas de défenseurs officiels.

« Ce mode de procéder paraît dériver de la Constitution elle-même ; et, si nous en parlons, c’est uniquement pour vous montrer qu’il a dû entraîner des lenteurs dans l’accomplissement de la tâche de la commission du budget . »

On n’est pas plus tendre dans le reproche ; il est impossible de recevoir avec plus de chasteté et de grâce ce que M. Bonaparte, dans son style d’autocrate, appelle des « garanties de calme  », et ce que Molière, dans sa liberté de grand écrivain, appelle des « coups de pied … »

Il y a donc dans la boutique où se fabriquent les lois et les budgets un maître de la maison, le conseil d’État, et un domestique, le corps législatif. Aux termes de la « Constitution », qui est-ce qui nomme le maître de la maison ? M. Bonaparte. Qui est-ce qui nomme le domestique ? La nation. C’est bien.

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