I

Un jour, il y a soixante-trois ans de cela, le peuple français, possédé par une famille depuis huit cents années, opprimé par les barons jusqu’à Louis XI, et depuis Louis XI par les parlements, c’est-à-dire, pour employer la sincère expression d’un grand seigneur du dix-huitième siècle, « mangé d’abord par les loups et ensuite par les poux » ; parqué en provinces, en châtellenies, en bailliages et en sénéchaussées ; exploité, pressuré, taxé, taillé, pelé, tondu, rasé, rogné et vilipendé à merci ; mis à l’amende indéfiniment pour le bon plaisir des maîtres ; gouverné, conduit, mené, surmené, traîné, torturé ; battu de verges et marqué d’un fer chaud pour un jurement ; envoyé aux galères pour un lapin tué sur les terres du roi ; pendu pour cinq sous ; fournissant ses millions à Versailles et son squelette à Montfaucon ; chargé de prohibitions, d’ordonnances, de patentes, de lettres royaux, d’édits bursaux et ruraux, de lois, de codes, de coutumes ; écrasé de gabelles, d’aides, de censives, de mainmortes, d’accises et d’excises, de redevances, de dîmes, de péages, de corvées, de banqueroutes ; bâtonné d’un bâton qu’on appelait sceptre ; suant, soufflant, geignant, marchant toujours, couronné, mais aux genoux, plus bête de somme que nation, se redressa tout à coup, voulut devenir homme, et se mit en tête de demander des comptes à la monarchie, de demander des comptes à la Providence, et de liquider ses huit siècles de misères. Ce fut un grand effort.

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