Victor Hugo a laissé, pour un certain nombre de ses ouvrages, des dossiers sur lesquels il a écrit le mot Reliquat. Il y a le Reliquat de Ruy Blas, le Reliquat des Misérables, etc. Ce sont des notes, des jalons, des citations, des indications de sources, et enfin des pages inédites, vers ou prose, variantes, chapitres, scènes, passages qui ont pu sembler des redites, développements qui faisaient longueur. On comprend quel intérêt il y avait à recueillir ces sortes de copeaux du travail, précieux souvent, curieux toujours.
Le « Reliquat » de Notre-Dame de Paris est un des plus abondants.
Il contient d’abord un document d’une valeur littéraire inappréciable : c’est le scénario de Notre-Dame de Paris.
Il faudrait dire les scénarios, car ce scénario est double. Le plan primitif est écrit sur une grande feuille, avec une forte marge réservée, et sur cette marge se lisent les parties neuves ajoutées dans un second travail.
Le premier canevas, d’une encre blanchie et passée, doit dater de 1828.
Le personnage de Phœbus n’y existe pas ; son nom ne s’y trouve pas une seule fois, si ce n’est écrit, postérieurement, dans une scène entre l’archidiacre et Gringoire. L’amour de l’archidiacre et de Quasimodo est tout le drame. Le procès que Claude Frollo fait intenter à la Esmeralda est un simple procès en sorcellerie. Gringoire, la recluse et les truands y ont la même action que dans le livre, ainsi que Louis XI, qui, seulement, ne réside pas à la Bastille, mais à Plessis-lez-Tours. Rien de changé non plus au siège de Notre-Dame et au tragique dénouement, mais ici le pauvre Gringoire, qui se substitue à la Esmeralda dans la cage de fer où elle est enfermée, est bellement pendu avec la chèvre.
La partie nouvelle du scénario ajoutée en marge l’a été probablement en 1830, lorsque Victor Hugo, après une interruption de dix-huit mois, se remit à son roman. Le personnage de Phœbus introduit dans le drame lui donne alors toute son ampleur. Cependant le logis Gondelaurier et la figure de Fleur-de-Lys n’y sont pas indiqués. En revanche, la scène sublime du pilori est déjà trouvée. Phœbus n’est pas assassiné par le prêtre dans les mêmes circonstances.
Il faut noter ici une particularité curieuse : un de ces nouveaux épisodes a été, au cours de son travail, supprimé par le poète dans le roman, mais il le reprendra un an après dans un drame. Claude Frollo, résolu à se débarrasser de Phœbus, le faisait attirer, pour y être égorgé, chez Isabeau la Thierrye, comme Triboulet conduira François Ier chez Maguelonne, et Jehan Frollo était « livré mort à l’archidiacre au lieu de Phœbus. — Scène du bord de l’eau. — C’est mon frère ! » — Il y a là, en germe, le Roi s’amuse.
Cette page précieuse n’est pas la seule pièce intéressante du Reliquat de Notre-Dame. Du monceau de notes que Victor Hugo avait prises avant de commencer à écrire son roman, il reste environ vingt-cinq feuilles, diverses de format, diverses de grain et de couleur, et chargées dans tous les sens d’écriture. C’est peu, mais cela suffit pour se rendre compte de ce qu’étaient et la méthode de travail du poète et les matériaux de ce travail. On retrouve dans ces feuilles un grand nombre de phrases du roman, sortes de jalons qui guidaient sa pensée. Puis, force notes historiques et descriptives sur des sujets de toute sorte : Louis XI, la sorcellerie, les mœurs et coutumes du temps, beaucoup de noms d’hommes et de femmes puisés dans les Comptes d’alors pour en baptiser des personnages. Ce qui domine, c’est Paris, ses rues, ses hôtels, ses bouges, toutes les particularités et curiosités de la Ville. Deux plans de Paris sont sommairement tracés par Victor Hugo pour son usage. Nous reproduisons en fac-similé le plus grand, ainsi que le croquis d’un moine-diablotin, la croix dans une main, le poignard dans l’autre, que nous trouvons griffonné en travers d’une des pages.
Diablotin-moine,
la croix dans une main,
le poignard dans l’autre.
Il n’y avait pas lieu de donner intégralement ces notes trop nombreuses, nous en donnerons du moins des échantillons, en les puisant de préférence parmi celles qui n’ont pas été utilisées dans le livre. Il y a ainsi nombre de pensées, parfois sans aucun rapport avec Notre-Dame, qui ont été jetées çà et là dans le feu du travail ; il eût été dommage de laisser se perdre ces étincelles.
PLAN DE LA CITÉ ET DE SES ÎLES,
ESQUISSÉ PAR VICTOR HUGO.