BALLADE NEUVIÈME. ÉCOUTE-MOI, MADELEINE.


Pource aimez-moy cependant qu’estes belle.
Ronsard.

Écoute-moi, Madeleine !

L’hiver a quitté la plaine

Qu’hier il glaçait encor.

Viens dans ces bois d’où ma suite

Se retire, au loin conduite

Par les sons errants du cor.

Viens ! on dirait, Madeleine,

Que le printemps, dont l’haleine

Donne aux roses leurs couleurs,

A, cette nuit, pour te plaire,

Secoué sur la bruyère

Sa robe pleine de fleurs.

Si j’étais, ô Madeleine,

L’agneau dont la blanche laine

Se démêle sous tes doigts !…

Si j’étais l’oiseau qui passe,

Et que poursuit dans l’espace

Un doux appel de ta voix !…

Si j’étais, ô Madeleine,

L’ermite de Tombelaine

Dans son pieux tribunal,

Quand ta bouche à son oreille

De tes péchés de la veille

Livre l’aveu virginal !…

Si j’avais, ô Madeleine,

L’œil du nocturne phalène,

Lorsqu’au sommeil tu te rends,

Et que son aile indiscrète

De ta cellule secrète

Bat les vitraux transparents ;

Quand ton sein, ô Madeleine,

Sort du corset de baleine,

Libre enfin du velours noir ;

Quand, de peur de te voir nue,

Tu jettes, fille ingénue,

Ta robe sur ton miroir !

Si tu voulais, Madeleine,

Ta demeure serait pleine

De pages et de vassaux ;

Et ton splendide oratoire

Déroberait sous la moire

La pierre de ses arceaux !

Si tu voulais, Madeleine,

Au lieu de la marjolaine

Qui pare ton chaperon,

Tu porterais la couronne

De comtesse ou de baronne,

Dont la perle est le fleuron !

Si tu voulais, madeleine,

Je te ferais châtelaine ;

Je suis le comte Roger ;

Quitte pour moi ces chaumières,

À moins que tu ne préfères

Que je me fasse berger !

14 septembre 1825.

Share on Twitter Share on Facebook