BALLADE SIXIÈME. LA FIANCÉE DU TIMBALIER.

Douce est la mort qui vient en bien aimant !
Desportes.Sonnet.

« Monseigneur le duc de Bretagne

A, pour les combats meurtriers,

Convoqué de Nante à Mortagne,

Dans la plaine et sur la montagne,

L’arrière-ban de ses guerriers.

« Ce sont des barons dont les armes

Ornent des forts ceints d’un fossé ;

Des preux vieillis dans les alarmes,

Des écuyers, des hommes d’armes ;

L’un d’entre eux est mon fiancé.

 

« Il est parti pour l’Aquitaine

Comme timbalier, et pourtant

On le prend pour un capitaine,

Rien qu’à voir sa mine hautaine,

Et son pourpoint, d’or éclatant !

« Depuis ce jour, l’effroi m’agite.

J’ai dit, joignant son sort au mien :

— Ma patronne, sainte Brigitte,

Pour que jamais il ne le quitte,

Surveillez son ange gardien ! —

« J’ai dit à notre abbé : Messire,

Priez bien pour tous nos soldats !

Et, comme on sait qu’il le désire,

J’ai brûlé trois cierges de cire

Sur la châsse de saint Gildas.

« À Notre-Dame de Lorette

J’ai promis, dans mon noir chagrin,

D’attacher sur ma gorgerette,

Fermée à la vue indiscrète,

Les coquilles du pèlerin.

« Il n’a pu, par d’amoureux gages,

Absent, consoler mes foyers ;

Pour porter les tendres messages,

La vassale n’a point de pages,

Le vassal n’a pas d’écuyers.

« Il doit aujourd’hui de la guerre

Revenir avec monseigneur ;

Ce n’est plus un amant vulgaire ;

Je lève un front baissé naguère.

Et mon orgueil est du bonheur !

« Le duc triomphant nous rapporte

Son drapeau dans les camps froissé ;

Venez tous sous la vieille porte

Voir passer la brillante escorte,

Et le prince, et mon fiancé !

« Venez voir pour ce jour de fête

Son cheval caparaçonné,

Qui sous son poids hennit, s’arrête,

Et marche en secouant la tête,

De plumes rouges couronné !

« Mes sœurs, à vous parer si lentes,

Venez voir près de mon vainqueur

Ces timbales étincelantes

Qui sous sa main toujours tremblantes,

Sonnent, et font bondir le cœur !

« Venez surtout le voir lui-même

Sous le manteau que j’ai brodé.

Qu’il sera beau ! c’est lui que j’aime !

Il porte comme un diadème

Son casque, de crins inondé !

« L’Égyptienne sacrilège,

M’attirant derrière un pilier,

M’a dit hier (Dieu nous protège !)

Qu’à la fanfare du cortège

Il manquerait un timbalier.

« Mais j’ai tant prié, que j’espère !

Quoique, me montrant de la main

Un sépulcre, son noir repaire,

La vieille aux regards de vipère

M’ait dit : — Je t’attends là demain !

« Volons ! plus de noires pensées !

Ce sont les tambours que j’entends.

Voici les dames entassées,

Les tentes de pourpre dressées,

Les fleurs, et les drapeaux flottants.

« Sur deux rangs le cortège ondoie :

D’abord, les piquiers aux pas lourds ;

Puis, sous l’étendard qu’on déploie,

Les barons, en robe de soie,

Avec leurs toques de velours.

« Voici les chasubles des prêtres ;

Les hérauts sur un blanc coursier.

Tous, en souvenir des ancêtres,

Portent l’écusson de leurs maîtres,

Peint sur leur corselet d’acier.

« Admirez l’armure persane

Des templiers, craints de l’enfer ;

Et, sous la longue pertuisane,

Les archers venus de Lausanne,

Vêtus de buffle, armés de fer.

« Le duc n’est pas loin : ses bannières

Flottent parmi les chevaliers ;

Quelques enseignes prisonnières,

Honteuses, passent les dernières…

Mes sœurs ! voici les timbaliers !… »

Elle dit, et sa vue errante

Plonge, hélas ! dans les rangs pressés ;

Puis, dans la foule indifférente,

Elle tomba, froide et mourante…

Les timbaliers étaient passés.

18 octobre 1825.

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