II

Avec nos camps vainqueurs, dans l’Europe asservie

J’errai, je parcourus la terre avant la vie ;

Et, tout enfant encor, les vieillards recueillis

M’écoutaient racontant, d’une bouche ravie,

Mes jours si peu nombreux et déjà si remplis !

Chez dix peuples vaincus je passai sans défense,

Et leur respect craintif étonnait mon enfance ;

Dans l’âge où l’on est plaint, je semblais protéger.

Quand je balbutiais le nom chéri de France,

Je faisais pâlir l’étranger.

Je visitai cette île, en noirs débris féconde,

Plus tard, premier degré d’une chute profonde.

Le haut Cenis, dont l’aigle aime les rocs lointains,

Entendit, de son antre où l’avalanche gronde,

Ses vieux glaçons crier sous mes pas enfantins.

Vers l’Adige et l’Arno je vins des bords du Rhône.

Je vis de l’Occident l’auguste Babylone,

Rome, toujours vivante au fond de ses tombeaux,

Reine du monde encor sur un débris de trône,

Avec une pourpre en lambeaux.

Puis Turin, puis Florence aux plaisirs toujours prête,

Naple, aux bords embaumés, où le printemps s’arrête

Et que Vésuve en feu couvre d’un dais brûlant,

Comme un guerrier jaloux qui, témoin d’une fête,

Jette au milieu des fleurs son panache sanglant.

L’Espagne m’accueillit, livrée à la conquête.

Je franchis le Bergare, où mugit la tempête ;

De loin, pour un tombeau je pris l’Escurial ;

Et le triple aqueduc vit s’incliner ma tête

Devant son front impérial.

Là, je voyais les feux des haltes militaires

Noircir les murs croulants des villes solitaires ;

La tente, de l’église envahissait le seuil ;

Les rires des soldats, dans les saints monastères,

Par l’écho répétés, semblaient des cris de deuil.

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