II

— Tais-toi, lyre ! Silence, ô lyre du poëte !

Ah ! laisse en paix tomber ces débris glorieux

Au gouffre où nul ami, dans sa douleur muette,

Ne les suivra longtemps des yeux !

Témoins que les vieux temps ont laissés dans notre âge,

Gardiens d’un passé qu’on outrage,

Ah ! fuyez ce siècle ennemi !

Croulez, restes sacrés, ruines solennelles !

Pourquoi veiller encor, dernières sentinelles

D’un camp pour jamais endormi ?

Ou plutôt, — que du temps la marche soit hâtée.

Quoi donc ! n’avons-nous point parmi nous ces héros

Qui chassèrent les rois de leur tombe insultée,

Que les morts ont eu pour bourreaux ?

Honneur à ces vaillants que notre orgueil renomme !

Gloire à ces braves ! Sparte et Rome

Jamais n’ont vu d’exploits plus beaux !

Gloire ! ils ont triomphé de ces funèbres pierres,

Ils ont brisé des os, dispersé des poussières !

Gloire ! ils ont proscrit des tombeaux !

Quel Dieu leur inspira ces travaux intrépides ?

Tout joyeux du néant par leurs soins découvert,

Peut-être ils ne voulaient que des sépulcres vides,

Comme ils n’avaient qu’un ciel désert ?

Ou, domptant les respects dont la mort nous fascine,

Leur main peut-être, en sa racine,

Frappait quelque auguste arbrisseau ;

Et, courant en espoir à d’autres hécatombes,

Leur sublime courage, en attaquant ces tombes,

S’essayait à vaincre un berceau ?

Qu’ils viennent maintenant, que leur foule s’élance,

Qu’ils se rassemblent tous, ces soldats aguerris !

Voilà des ennemis dignes de leur vaillance :

Des ruines et des débris.

Qu’ils entrent sans effroi sous ces portes ouvertes ;

Qu’ils assiégent ces tours désertes ;

Un tel triomphe est sans dangers.

Mais qu’ils n’éveillent pas les preux de ces murailles ;

Ces ombres qui jadis ont gagné des batailles

Les prendraient pour des étrangers !

Ce siècle entre les temps veut être solitaire.

Allons ! frappez ces murs, des ans encor vainqueurs.

Non, qu’il ne reste rien des vieux jours sur la terre ;

Il n’en reste rien dans nos cœurs.

Cet héritage immense, où nos gloires s’entassent,

Pour les nouveaux peuples qui passent,

Est trop pesant à soutenir ;

Il retarde leurs pas, qu’un même élan ordonne.

Que nous fait le passé ? Du temps que Dieu nous donne

Nous ne gardons que l’avenir.

Qu’on ne nous vante plus nos crédules ancêtres !

Ils voyaient leurs devoirs où nous voyons nos droits.

Nous avons nos vertus. Nous égorgeons les prêtres,

Et nous assassinons les rois. —

Hélas ! il est trop vrai, l’antique honneur de France,

La Foi, sœur de l’humble Espérance,

Ont fui notre âge infortuné ;

Des anciennes vertus le crime a pris la place ;

Il cache leurs sentiers, comme la ronce efface

Le seuil d’un temple abandonné.

Quand de ses souvenirs la France dépouillée,

Hélas ! aura perdu sa vieille majesté,

Lui disputant encor quelque pourpre souillée,

Ils riront de sa nudité !

Nous, ne profanons point cette mère sacrée ;

Consolons sa gloire éplorée,

Chantons ses astres éclipsés ;

Car notre jeune muse, affrontant l’anarchie,

Ne veut pas secouer sa bannière, blanchie

De la poudre des temps passés.

1823.

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