— Tais-toi, lyre ! Silence, ô lyre du poëte !
Ah ! laisse en paix tomber ces débris glorieux
Au gouffre où nul ami, dans sa douleur muette,
Ne les suivra longtemps des yeux !
Témoins que les vieux temps ont laissés dans notre âge,
Gardiens d’un passé qu’on outrage,
Ah ! fuyez ce siècle ennemi !
Croulez, restes sacrés, ruines solennelles !
Pourquoi veiller encor, dernières sentinelles
D’un camp pour jamais endormi ?
Ou plutôt, — que du temps la marche soit hâtée.
Quoi donc ! n’avons-nous point parmi nous ces héros
Qui chassèrent les rois de leur tombe insultée,
Que les morts ont eu pour bourreaux ?
Honneur à ces vaillants que notre orgueil renomme !
Gloire à ces braves ! Sparte et Rome
Jamais n’ont vu d’exploits plus beaux !
Gloire ! ils ont triomphé de ces funèbres pierres,
Ils ont brisé des os, dispersé des poussières !
Gloire ! ils ont proscrit des tombeaux !
Quel Dieu leur inspira ces travaux intrépides ?
Tout joyeux du néant par leurs soins découvert,
Peut-être ils ne voulaient que des sépulcres vides,
Comme ils n’avaient qu’un ciel désert ?
Ou, domptant les respects dont la mort nous fascine,
Leur main peut-être, en sa racine,
Frappait quelque auguste arbrisseau ;
Et, courant en espoir à d’autres hécatombes,
Leur sublime courage, en attaquant ces tombes,
S’essayait à vaincre un berceau ?
Qu’ils viennent maintenant, que leur foule s’élance,
Qu’ils se rassemblent tous, ces soldats aguerris !
Voilà des ennemis dignes de leur vaillance :
Des ruines et des débris.
Qu’ils entrent sans effroi sous ces portes ouvertes ;
Qu’ils assiégent ces tours désertes ;
Un tel triomphe est sans dangers.
Mais qu’ils n’éveillent pas les preux de ces murailles ;
Ces ombres qui jadis ont gagné des batailles
Les prendraient pour des étrangers !
Ce siècle entre les temps veut être solitaire.
Allons ! frappez ces murs, des ans encor vainqueurs.
Non, qu’il ne reste rien des vieux jours sur la terre ;
Il n’en reste rien dans nos cœurs.
Cet héritage immense, où nos gloires s’entassent,
Pour les nouveaux peuples qui passent,
Est trop pesant à soutenir ;
Il retarde leurs pas, qu’un même élan ordonne.
Que nous fait le passé ? Du temps que Dieu nous donne
Nous ne gardons que l’avenir.
Qu’on ne nous vante plus nos crédules ancêtres !
Ils voyaient leurs devoirs où nous voyons nos droits.
Nous avons nos vertus. Nous égorgeons les prêtres,
Et nous assassinons les rois. —
Hélas ! il est trop vrai, l’antique honneur de France,
La Foi, sœur de l’humble Espérance,
Ont fui notre âge infortuné ;
Des anciennes vertus le crime a pris la place ;
Il cache leurs sentiers, comme la ronce efface
Le seuil d’un temple abandonné.
Quand de ses souvenirs la France dépouillée,
Hélas ! aura perdu sa vieille majesté,
Lui disputant encor quelque pourpre souillée,
Ils riront de sa nudité !
Nous, ne profanons point cette mère sacrée ;
Consolons sa gloire éplorée,
Chantons ses astres éclipsés ;
Car notre jeune muse, affrontant l’anarchie,
Ne veut pas secouer sa bannière, blanchie
De la poudre des temps passés.
1823.