III

Car il lui fut donné de survivre au martyre. —

Elle fut sur nos bords, d’où la foi se retire,

Comme un rayon du soir resté sur l’horizon ;

Dieu la marqua d’un signe entre toutes les femmes,

Et voulut dans son champ, où glanent si peu d’âmes,

Laisser cet épi mûr de la sainte moisson.

Elle était heureuse, ici même !

Du bras dont il venge ses droits,

Le Seigneur soutient ceux qu’il aime,

Et les aide à porter la croix.

Il montre, en visions étranges,

À Jacob l’échelle des anges,

À Saül les antres d’Endor ;

Sa main mystérieuse et sainte

Sait cacher le miel dans l’absinthe,

Et la cendre dans les fruits d’or.

Sa constante équité n’est jamais assoupie ;

Le méchant, sous la pourpre où son bonheur s’expie,

Envie un toit de chaume au fidèle abattu ;

Et, quand l’impie heureux, bercé sur des abîmes,

Se crée un enfer de ses crimes,

Le juste en pleurs se fait un ciel de sa vertu.

On dit qu’en dépouillant la vie

Elle parut la regretter,

Et jeta des regards d’envie

Sur les fers qu’elle allait quitter.

« — Ô mon Dieu ! retardez mon heure.

Loin de la vallée où l’on pleure,

Suis-je digne de m’envoler ?

Ce n’est pas la mort que j’implore,

Seigneur ; je puis souffrir encore,

Et je veux encor consoler.

« Je pars ; ayez pitié de ceux que j’abandonne !

Quel amour leur rendra l’amour que je leur donne ?

Pourquoi du saint bonheur sitôt me couronner ?

Laissez mon âme encor sur leurs maux se répandre ;

Je n’aurai plus au ciel d’opprimés à défendre,

Ni d’oppresseurs à pardonner ! »

Il faut donc que le juste meure ! —

En vain, dans ses regrets nommés,

Ont passé devant sa demeure

Tous ses pauvres accoutumés.

Maintenant, ô fils des chaumières !

Payez son aumône en prières ;

Suivez-la d’un pieux adieu,

Orphelins, veuves déplorables,

Vous tous, faibles et misérables,

Images augustes de Dieu !

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