II

On entendit des voix qui disaient dans la nue :

— « Jeune ange, Dieu sourit à ta gloire ingénue ;

Viens, rentre dans ses bras pour ne plus en sortir ;

Et vous, qui du Très-Haut racontez les louanges,

Séraphins, prophètes, archanges,

Courbez-vous, c’est un roi ; chantez, c’est un martyr ! »

— « Où donc ai-je régné ? demandait la jeune ombre.

Je suis un prisonnier, je ne suis point un roi.

Hier je m’endormis au fond d’une tour sombre.

Où donc ai-je régné ? Seigneur, dites-le moi.

Hélas ! mon père est mort d’une mort bien amère ;

Ses bourreaux, ô mon Dieu, m’ont abreuvé de fiel ;

Je suis un orphelin ; je viens chercher ma mère,

Qu’en mes rêves j’ai vue au ciel. »

Les anges répondaient : — « Ton Sauveur te réclame.

Ton Dieu d’un monde impie a rappelé ton âme.

Fuis la terre insensée où l’on brise la croix,

Où jusque dans la mort descend le régicide,

Où le meurtre, d’horreurs avide,

Fouille dans les tombeaux pour y chercher des rois. »

— « Quoi ! de ma lente vie ai-je achevé le reste ?

Disait-il ; tous mes maux, les ai-je enfin soufferts ?

Est-il vrai qu’un geôlier, de ce rêve céleste,

Ne viendra pas demain m’éveiller dans mes fers ?

Captif, de mes tourments cherchant la fin prochaine,

J’ai prié ; Dieu veut-il enfin me secourir ?

Oh ! n’est-ce pas un songe ? a-t-il brisé ma chaîne ?

Ai-je eu le bonheur de mourir ?

« Car vous ne savez point quelle était ma misère !

Chaque jour dans ma vie amenait des malheurs ;

Et, lorsque je pleurais, je n’avais pas de mère

Pour chanter à mes cris, pour sourire à mes pleurs.

D’un châtiment sans fin languissante victime,

De ma tige arraché comme un tendre arbrisseau,

J’étais proscrit bien jeune, et j’ignorais quel crime

J’avais commis dans mon berceau.

« Et pourtant, écoutez : bien loin dans ma mémoire,

J’ai d’heureux souvenirs avant ces temps d’effroi ;

J’entendais en dormant des bruits confus de gloire,

Et des peuples joyeux veillaient autour de moi.

Un jour tout disparut dans un sombre mystère ;

Je vis fuir l’avenir à mes destins promis ;

Je n’étais qu’un enfant, faible et seul sur la terre,

Hélas ! et j’eus des ennemis !

« Ils m’ont jeté vivant sous des murs funéraires ;

Mes yeux voués aux pleurs n’ont plus vu le soleil ;

Mais vous que je retrouve, anges du ciel, mes frères,

Vous m’avez visité souvent dans mon sommeil.

Mes jours se sont flétris dans leurs mains meurtrières,

Seigneur, mais les méchants sont toujours malheureux ;

Oh ! ne soyez pas sourd comme eux à mes prières,

Car je viens vous prier pour eux. »

Et les anges chantaient : — « L’arche à toi se dévoile,

Suis-nous ; sur ton beau front nous mettrons une étoile.

Prends les ailes d’azur des chérubins vermeils ;

Tu viendras avec nous bercer l’enfant qui pleure,

Ou, dans leur brûlante demeure,

D’un souffle lumineux rajeunir les soleils ! »