Ode quatorzième. Épitaphe.

Hic præteritos commemora dies, æternos meditare .

Jeune ou vieux, imprudent ou sage,

Toi qui, de cieux en cieux errant comme un nuage,

Suis l’instinct d’un plaisir ou l’appel d’un besoin,

Voyageur, où vas-tu si loin ? —

N’est-ce donc pas ici le but de ton voyage ?

La Mort, qui partout pose un pied victorieux,

A couvert mes splendeurs d’ombres expiatoires.

Mon nom même a subi son voile injurieux ;

Et le morne oubli cache à ton œil curieux

S’il est dans mon néant quelqu’une de tes gloires.

Passant, comme toi j’ai passé.

Le fleuve est revenu se perdre dans sa source.

Fais silence ; assieds-toi sur ce marbre brisé.

Pose un instant le poids qui fatigue ta course ;

J’eus de même un fardeau qu’ici j’ai déposé.

Si tu veux du repos, si tu cherches de l’ombre,

Ta couche est prête, accours ! loin du bruit on y dort.

Si ton fragile esquif lutte sur la mer sombre,

Viens, c’est ici l’écueil ; viens, c’est ici le port !

Ne sens-tu rien ici dont tressaille ton âme ?

Rien qui borne tes pas d’un cercle impérieux ?

Sur l’asile qui te réclame,

Ne lis-tu pas ton nom en mots mystérieux ?

Éphémère histrion qui sait son rôle à peine,

Chaque homme, ivre d’audace ou palpitant d’effroi,

Sous le sayon du pâtre ou la robe du roi,

Vient passer à son tour son heure sur la scène.

Ne foule pas les morts d’un pied indifférent ;

Comme moi, dans leur ville il te faudra descendre ;

L’homme de jour en jour s’en va pâle et mourant ;

Et tu ne sais quel vent doit emporter ta cendre.

Mais devant moi ton cœur à peine est agité !

Quoi donc ! pas un soupir ! pas même une prière !

Tout ton néant te parle, et n’est point écouté !

Tu passes ! — en effet, qu’importe cette pierre ?

Que peut cacher la tombe à ton œil attristé ?

Quelques os desséchés, un reste de poussière,

Rien peut-être, — et l’éternité !

1823.

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