Ode douzième Le chant du tournoi

Le beffroi de la prochaine tour
Appelle aux jeux guerriers les seigneurs d’alentour.

A. Soumet.

Servants d’amour, regardez doucement

Aux échafauds anges de paradis ;

Lors jouterez fort et joyeusement,

Et vous serez honorés et chéris.

Ancienne ballade.

Largesse, ô chevaliers ! largesse aux suivants d’armes !

Venez tous ! soit qu’au sein des jeux ou des alarmes,

Votre écu de Milan porte le vert dragon,

Le manteau noir d’Agra, semé de blanches larmes,

La fleur de lys de France, ou la croix d’Aragon.

Déjà la lice est ouverte ;

Les clercs en ont fait le tour ;

La bannière blanche et verte

Flotte au front de chaque tour ;

La foule éclate en paroles ;

Les légères banderoles

Se mêlent en voltigeant ;

Et le héros du portique

Sur l’or de sa dalmatique

Suspend le griffon d’argent.

Les maisons peuplent leur faîte ;

Au loin gronde le beffroi ;

Tout nous promet une fête

Digne des regards du roi.

La reine, à ce jour suprême,

A de son épargne même

Consacré douze deniers,

Et, pour l’embellir encore,

Racheté des fers du Maure

Douze chrétiens prisonniers.

Or, comme la loi l’ordonne,

Chevaliers au cœur loyal,

Avant que le clairon sonne,

Écoutez l’édit royal.

Car, sans l’entendre en silence,

Celui qui saisit la lance

N’a plus qu’un glaive maudit.

Croyez ces conseils prospères !

C’est ce qu’ont dit à vos pères

Ceux à qui Dieu l’avait dit !

D’abord, des saintes louanges

Chantez les versets bénis,

Chantez Jésus, les archanges,

Et monseigneur saint Denis !

Jurez sur les évangiles

Que, si vos bras sont fragiles,

Rien ne ternit votre honneur ;

Que vous pourrez, s’il se lève,

Montrer au roi votre glaive,

Comme votre âme au Seigneur !

D’un saint touchez la dépouille !

Jurez, comtes et barons,

Que nulle fange ne souille

L’or pur de vos éperons !

Que de ses vassaux fidèles,

Dans ses noires citadelles,

Nul de vous n’est le bourreau !

Que, du sort bravant l’épreuve,

Pour l’orphelin et la veuve

Votre épée est sans fourreau !

Preux que l’honneur accompagne,

N’oubliez pas les vertus

Des vieux pairs de Charlemagne,

Des vieux champions d’Artus !

Malheur au vainqueur sans gloire,

Qui doit sa lâche victoire

À de hideux nécromants !

Honte au guerrier sans vaillance

Qui combat la noble lance

Avec d’impurs talismans !

Un jour, sur les murs funestes

De son infâme château,

On voit pendre ses vils restes

Aux bras d’un sanglant poteau ;

Éternisant ses supplices,

Les enchanteurs, ses complices,

Dans les ombres déchaînés,

Parmi d’affreux sortilèges

À leurs festins sacrilèges

Mêlent ses os décharnés !

Mais gloire au guerrier austère !

Gloire au pieux châtelain !

Chaque belle sans mystère

Brode son nom sur le lin ;

Le mélodieux trouvère

À son glaive, qu’on révère,

Consacre un chant immortel ;

Dans sa tombe est une fée ;

Et l’on donne à son trophée

Pour piédestal un autel.

Donc, en vos âmes courtoises,

Gravez, pairs et damoisels,

La loi des joutes gauloises

Et des galants carrousels !

Par les juges de l’épée,

Par leur belle détrompée,

Les félons seront honnis.

Leur opprobre est sans refuges ;

Ceux que condamnent les juges

Par les dames sont punis !

Largesse, ô chevaliers ! largesse aux suivants d’armes !

Venez tous ! soit qu’au sein des jeux ou des alarmes,

Votre écu de Milan porte le vert dragon,

Le manteau noir d’Agra, semé de blanches larmes,

La fleur de lys de France, ou la croix d’Aragon.

Janvier 1824.

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