Ô monument vengeur ! trophée indélébile !
Bronze qui, tournoyant sur ta base immobile,
Sembles porter au ciel ta gloire et ton néant ;
Et, de tout ce qu’a fait une main colossale,
Seul es resté debout ; — ruine triomphale
De l’édifice du géant !
Débris du Grand Empire et de la Grande Armée,
Colonne, d’où si haut parle la renommée !
Je t’aime : l’étranger t’admire avec effroi.
J’aime tes vieux héros, sculptés par la Victoire,
Et tous ces fantômes de gloire
Qui se pressent autour de toi.
J’aime à voir sur tes flancs, colonne étincelante,
Revivre ces soldats qu’en leur onde sanglante
Ont roulés le Danube, et le Rhin, et le Pô !
Tu mets comme un guerrier le pied sur ta conquête.
J’aime ton piédestal d’armures, et ta tête
Dont le panache est un drapeau !
Au bronze de Henri mon orgueil te marie.
J’aime à vous voir tous deux, honneur de la patrie,
Immortels, dominant nos troubles passagers,
Sortir, signes jumeaux d’amour et de colère,
Lui, de l’épargne populaire,
Toi, des arsenaux étrangers !
Que de fois, tu le sais, quand la nuit sous ses voiles
Fait fuir la blanche lune ou trembler les étoiles,
Je viens, triste, évoquer tes fastes devant moi ;
Et, d’un œil enflammé dévorant ton histoire,
Prendre, convive obscur, ma part de tant de gloire,
Comme un pâtre au banquet d’un roi !
Que de fois j’ai cru voir, ô colonne française,
Ton airain ennemi rugir dans la fournaise !
Que de fois, ranimant tes combattants épars,
Heurtant sur tes parois leurs armes dérouillées,
J’ai ressuscité ces mêlées
Qui t’assiègent de toutes parts !
Jamais, ô monument, même ivres de leur nombre,
Les étrangers sans peur n’ont passé sous ton ombre.
Leurs pas n’ébranlent point ton bronze souverain.
Quand le sort une fois les poussa vers nos rives,
Ils n’osaient étaler leurs parades oisives
Devant tes batailles d’airain !