VII

On se montrait le repli du couloir de gauche où Robespierre avait dit bas à l’oreille de Garat, l’ami de Clavière, ce mot redoutable : Clavière a conspiré partout où il a respiré. Dans ce même recoin, commode aux apartés et aux colères à demi-voix, Fabre d’Églantine avait querellé Romme, et lui avait reproché de défigurer son calendrier par le changement de Fervidor en Thermidor. On se montrait l’angle où siégeaient, se touchant le coude, les sept représentants de la Haute-Garonne qui, appelés les premiers à prononcer leur verdict sur Louis XVI, avaient ainsi répondu l’un après l’autre : Mailhe : la mort. – Delmas : la mort. – Projean : la mort. – Calès : la mort. – Ayral : la mort. – Julien : la mort. – Desaby : la mort. Éternelle répercussion qui emplit toute l’histoire, et qui, depuis que la justice humaine existe, a toujours mis l’écho du sépulcre sur le mur du tribunal. On désignait du doigt, dans la tumultueuse mêlée des visages, tous ces hommes d’où était sorti le brouhaha des votes tragiques ; Paganel, qui avait dit : La mort. Un roi n’est utile que par sa mort ; Millaud, qui avait dit : Aujourd’hui, si la mort n’existait pas, il faudrait l’inventer ; le vieux Raffron du Trouillet, qui avait dit : La mort vite ! Goupilleau, qui avait crié : L’échafaud tout de suite. La lenteur aggrave la mort ; Sieyès, qui avait eu cette concision funèbre : La mort ; Thuriot, qui avait rejeté l’appel au peuple proposé par Buzot : Quoi ! les assemblées primaires ! quoi ! quarante-quatre mille tribunaux ! Procès sans terme. La tête de Louis XVI aurait le temps de blanchir avant de tomber ; Augustin-Bon Robespierre, qui, après son frère, s’était écrié : Je ne connais point l’humanité qui égorge les peuples, et qui pardonne aux despotes. La mort ! demander un sursis c’est substituer à l’appel au peuple un appel aux tyrans ; Foussedoire, le remplaçant de Bernardin de Saint-Pierre, qui avait dit : J’ai en horreur l’effusion du sang humain, mais le sang d’un roi n’est pas le sang d’un homme. La mort ; Jean-Bon-Saint-André, qui avait dit : Pas de peuple libre sans le tyran mort ; Lavicomterie, qui avait proclamé cette formule : Tant que le tyran respire, la liberté étouffe. La mort. Chateauneuf-Randon, qui avait jeté ce cri : La mort de Louis le Dernier ! Guyardin, qui avait émis ce vœu : Qu’on l’exécute Barrière-Renversée ! la Barrière-Renversée c’était la barrière du Trône ; Tellier, qui avait dit : Qu’on forge, pour tirer contre l’ennemi, un canon du calibre de la tête de Louis XVI. Et les indulgents : Gentil, qui avait dit : Je vote la réclusion. Faire un Charles Ier, c’est faire un Cromwell ; Bancal, qui avait dit : L’exil. Je veux voir le premier roi de l’univers condamné à faire un métier pour gagner sa vie ; Albouys, qui avait dit : Le bannissement. Que ce spectre vivant aille errer autour des trônes ; Zangiacomi, qui avait dit : La détention. Gardons Capet vivant comme épouvantail ; Chaillon, qui avait dit : Qu’il vive. Je ne veux par faire un mort dont Rome fera un saint. Pendant que ces sentences tombaient de ces lèvres sévères et, l’une après l’autre, se dispersaient dans l’histoire, dans les tribunes des femmes décolletées et parées comptaient les voix, une liste à la main, et piquaient des épingles sous chaque vote.

Où est entrée la tragédie, l’horreur et la pitié restent.

Voir la Convention, à quelque époque de son règne que ce fût, c’était revoir le jugement du dernier Capet ; la légende du 21 janvier semblait mêlée à tous ses actes ; la redoutable assemblée était pleine de ces haleines fatales qui avaient passé sur le vieux flambeau monarchique allumé depuis dix-huit siècles, et l’avaient éteint ; le décisif procès de tous les rois dans un roi était comme le point de départ de la grande guerre qu’elle faisait au passé ; quelle que fût la séance de la Convention à laquelle on assistât, on voyait s’y projeter l’ombre portée de l’échafaud de Louis XVI ; les spectateurs se racontaient les uns aux autres la démission de Kersaint, la démission de Roland, Duchâtel le député des Deux-Sèvres, qui se fit apporter malade sur son lit, et, mourant, vota la vie, ce qui fit rire Marat ; et l’on cherchait des yeux le représentant, oublié par l’histoire aujourd’hui, qui, après cette séance de trente-sept heures, tombé de lassitude et de sommeil sur son banc, et réveillé par l’huissier quand ce fut son tour de voter, entr’ouvrit les yeux, dit : La mort ! et se rendormit.

Au moment où ils condamnèrent à mort Louis XVI, Robespierre avait encore dix-huit mois à vivre, Danton quinze mois, Vergniaud neuf mois, Marat cinq mois et trois semaines, Lepelletier-Saint-Fargeau un jour. Court et terrible souffle des bouches humaines !

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