X

Lieu immense. Tous les types humains, inhumains et surhumains étaient là. Amas épique d’antagonismes.

Guillotin évitant David, Bazire insultant Chabot, Guadet raillant Saint-Just, Vergniaud dédaignant Danton, Louvet attaquant Robespierre, Buzot dénonçant Égalité, Chambon flétrissant Pache, tous exécrant Marat. Et que de noms encore il faudrait enregistrer ! Armonville, dit Bonnet-Rouge, parce qu’il ne siégeait qu’en bonnet phrygien, ami de Robespierre, et voulant, « après Louis XVI, guillotiner Robespierre » par goût de l’équilibre ; Massieu, collègue et ménechme de ce bon Lamourette, évêque fait pour laisser son nom à un baiser ; Lehardy du Morbihan stigmatisant les prêtres de Bretagne ; Barère, l’homme des majorités, qui présidait quand Louis XVI parut à la barre, et qui était à Paméla ce que Louvet était à Lodoïska ; l’oratorien Daunou qui disait : Gagnons du temps ; Dubois-Crancé à l’oreille de qui se penchait Marat ; le marquis de Chateauneuf, Laclos, Hérault de Séchelles qui reculait devant Henriot criant : Canonniers, à vos pièces ; Julien, qui comparait la Montagne aux Thermopyles ; Gamon, qui voulait une tribune publique réservée uniquement aux femmes ; Laloy, qui décerna les honneurs de la séance à l’évêque Gobel venant à la Convention déposer la mitre et coiffer le bonnet rouge ; Lecomte, qui s’écriait : C’est donc à qui se déprêtrisera ! Féraud, dont Boissy-d’Anglas saluera la tête, laissant à l’histoire cette question : – Boissy-d’Anglas a-t-il salué la tête, c’est-à-dire la victime, ou la pique, c’est-à-dire les assassins ? – Les deux frères Duprat, l’un montagnard, l’autre girondin, qui se haïssaient comme les deux frères Chénier.

Il s’est dit à cette tribune de ces vertigineuses paroles qui ont, quelquefois, à l’insu même de celui qui les prononce, l’accent fatidique des révolutions, et à la suite desquelles les faits matériels paraissent avoir brusquement on ne sait quoi de mécontent et de passionné, comme s’ils avaient mal pris les choses qu’on vient d’entendre ; ce qui se passe semble courroucé de ce qui se dit ; les catastrophes surviennent furieuses et comme exaspérées par les paroles des hommes. Ainsi une voix dans la montagne suffit pour détacher l’avalanche. Un mot de trop peut être suivi d’un écroulement. Si l’on n’avait pas parlé, cela ne serait pas arrivé. On dirait parfois que les événements sont irascibles.

C’est de cette façon, c’est par le hasard d’un mot d’orateur mal compris qu’est tombée la tête de madame Elisabeth.

À la Convention l’intempérance de langage était de droit.

Les menaces volaient et se croisaient dans la discussion comme les flammèches dans l’incendie. PÉTION : Robespierre, venez au fait. – ROBESPIERRE : Le fait, c’est vous, Pétion, j’y viendrai, et vous le verrez. – UNE VOIX : Mort à Marat ! – MARAT : Le jour où Marat mourra, il n’y aura plus de Paris, et le jour où Paris périra, il n’y aura plus de République. – Billaud-Varennes se lève et dit : Nous voulons… Barrère l’interrompt : Tu parles comme un roi. – Un autre jour, PHILIPPEAUX : Un membre a tiré l’épée contre moi. – AUDOUIN : Président, rappelez à l’ordre l’assassin. – LE PRÉSIDENT : Attendez. – PANIS : Président, je vous rappelle à l’ordre, moi. – On riait aussi, rudement : LECOINTRE : Le curé du Chant-de-Bout se plaint de Fauchet, son évêque, qui lui défend de se marier. – UNE VOIX : Je ne vois pas pourquoi Fauchet, qui a des maîtresses, veut empêcher les autres d’avoir des épouses. – UNE AUTRE VOIX : Prêtre, prends femme ! – Les tribunes se mêlaient à la conversation. Elles tutoyaient l’Assemblée. Un jour le représentant Ruamps monte à la tribune. Il avait une « hanche » beaucoup plus grosse que l’autre. Un des spectateurs lui cria : – Tourne ça du côté de la droite, puisque tu as une « joue » à la David ! – Telles étaient les libertés que le peuple prenait avec la Convention. Une fois pourtant, dans le tumulte du 11 avril 1793, le président fit arrêter un interrupteur des tribunes.

Un jour, cette séance a eu pour témoin le vieux Buonarotti, Robespierre prend la parole et parle deux heures, regardant Danton, tantôt fixement, ce qui était grave, tantôt obliquement, ce qui était pire. Il foudroie à bout portant. Il termine par une explosion indignée, pleine de mots funèbres : – On connaît les intrigants, on connaît les corrupteurs et les corrompus, on connaît les traîtres ; ils sont dans cette assemblée. Ils nous entendent ; nous les voyons et nous ne les quittons pas des yeux. Qu’ils regardent au-dessus de leur tête, et ils y verront le glaive de la loi ; qu’ils regardent dans leur conscience, et ils y verront leur infamie. Qu’ils prennent garde à eux. – Et quand Robespierre a fini, Danton, la face au plafond, les yeux à demi fermés, un bras pendant par-dessus le dossier de son banc, se renverse en arrière, et on l’entend fredonner :

Cadet Roussel fait des discours

Qui ne sont pas longs quand ils sont courts.

Les imprécations se donnaient la réplique. – Conspirateur ! – Assassin ! – Scélérat ! – Factieux ! – Modéré ! – On se dénonçait au buste de Brutus qui était là. Apostrophes, injures, défis. Regards furieux d’un côté à l’autre, poings montrés, pistolets entrevus, poignards à demi tirés. Énorme flamboiement de la tribune. Quelques-uns parlaient comme s’ils étaient adossés à la guillotine. Les têtes ondulaient, épouvantées et terribles. Montagnards, Girondins, Feuillants, Modérantistes, Terroristes, Jacobins, Cordeliers ; dix-huit prêtres régicides.

Tous ces hommes ! tas de fumées poussées dans tous les sens.

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