IX Quelqu’un échappe

Le passager n’avait pas quitté le pont, il observait tout, impassible.

Boisberthelot s’approcha de lui.

– Monsieur, lui dit-il, les préparatifs sont faits. Nous voilà maintenant cramponnés à notre tombeau, nous ne lâcherons pas prise. Nous sommes prisonniers de l’escadre ou de l’écueil. Nous rendre à l’ennemi ou sombrer dans les brisants, nous n’avons pas d’autre choix. Il nous reste une ressource, mourir. Combattre vaut mieux que naufrager. J’aime mieux être mitraillé que noyé ; en fait de mort, je préfère le feu à l’eau. Mais mourir, c’est notre affaire à nous autres, ce n’est pas la vôtre, à vous. Vous êtes l’homme choisi par les princes, vous avez une grande mission, diriger la guerre de Vendée. Vous de moins, c’est peut-être la monarchie perdue ; vous devez donc vivre. Notre honneur à nous est de rester ici, le vôtre est d’en sortir. Vous allez, mon général, quitter le navire. Je vais vous donner un homme et un canot. Gagner la côte par un détour n’est pas impossible. Il n’est pas encore jour, les lames sont hautes, la mer est obscure, vous échapperez. Il y a des cas où fuir, c’est vaincre.

Le vieillard fit, de sa tête sévère, un grave signe d’acquiescement.

Le comte du Boisberthelot éleva la voix :

– Soldats et matelots, cria-t-il.

Tous les mouvements s’arrêtèrent, et de tous les points du navire, les visages se tournèrent vers le capitaine.

Il poursuivit :

– L’homme qui est parmi nous représente le roi. Il nous est confié, nous devons le conserver. Il est nécessaire au trône de France ; à défaut d’un prince, il sera, c’est du moins notre attente, le chef de la Vendée. C’est un grand officier de guerre. Il devait aborder en France avec nous, il faut qu’il y aborde sans nous. Sauver la tête, c’est tout sauver.

– Oui ! oui ! oui ! crièrent toutes les voix de l’équipage.

Le capitaine continua :

– Il va courir, lui aussi, de sérieux dangers. Atteindre la côte n’est pas aisé. Il faudrait que le canot fût grand pour affronter la haute mer et il faut qu’il soit petit pour échapper à la croisière. Il s’agit d’aller atterrir à un point quelconque, qui soit sûr, et plutôt du côté de Fougères que du côté de Coutances. Il faut un matelot solide, bon rameur et bon nageur ; qui soit du pays et qui connaisse les passes. Il y a encore assez de nuit pour que le canot puisse s’éloigner de la corvette sans être aperçu. Et puis, il va y avoir de la fumée qui achèvera de le cacher. Sa petitesse l’aidera à se tirer des bas-fonds. Où la panthère est prise, la belette échappe. Il n’y a pas d’issue pour nous ; il y en a pour lui. Le canot s’éloignera à force de rames ; les navires ennemis ne le verront pas ; et d’ailleurs pendant ce temps-là, nous ici, nous allons les amuser. Est-ce dit ?

– Oui ! oui ! oui ! cria l’équipage.

– Il n’y a pas une minute à perdre, reprit le capitaine.

Y a-t-il un homme de bonne volonté ?

Un matelot dans l’obscurité sortit des rangs et dit :

– Moi.

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