V VOX IN DESERTO

Michelle Fléchard, en quittant les trois enfants auxquels elle avait donné son pain, s’était mise à marcher au hasard à travers le bois.

Puisqu’on ne voulait pas lui montrer son chemin, il fallait bien qu’elle le trouvât toute seule. Par instants elle s’asseyait, et elle se relevait, et elle s’asseyait encore. Elle avait cette fatigue lugubre qu’on a d’abord dans les muscles, puis qui passe dans les os ; fatigue d’esclave. Elle était esclave en effet. Esclave de ses enfants perdus. Il fallait les retrouver ; chaque minute écoulée pouvait être leur perte ; qui a un tel devoir n’a plus de droit ; reprendre haleine lui était interdit. Mais elle était bien lasse. À ce degré d’épuisement, un pas de plus est une question. Le pourra-t-on faire ? Elle marchait depuis le matin ; elle n’avait plus rencontré de village, ni même de maison. Elle prit d’abord le sentier qu’il fallait, puis celui qu’il ne fallait pas, et elle finit par se perdre au milieu des branches pareilles les unes aux autres. Approchait-elle du but ? touchait-elle au terme de sa passion ? Elle était dans la Voie Douloureuse, et elle sentait l’accablement de la dernière station. Allait-elle tomber sur la route et expirer là ? À un certain moment, avancer encore lui sembla impossible, le soleil déclinait, la forêt était obscure, les sentiers s’étaient effacés sous l’herbe, et elle ne sut plus que devenir. Elle n’avait plus que Dieu. Elle se mit à appeler, personne ne répondit.

Elle regarda autour d’elle, elle vit une claire-voie dans les branches, elle se dirigea de ce côté-là, et brusquement se trouva hors du bois.

Elle avait devant elle un vallon étroit comme une tranchée, au fond duquel coulait dans les pierres un clair filet d’eau. Elle s’aperçut alors qu’elle avait une soif ardente. Elle alla à cette eau, s’agenouilla, et but.

Elle profita de ce qu’elle était à genoux pour faire sa prière.

En se relevant, elle chercha à s’orienter.

Elle enjamba le ruisseau.

Au delà du petit vallon se prolongeait à perte de vue un vaste plateau couvert de broussailles courtes, qui, à partir du ruisseau, montait en plan incliné et emplissait tout l’horizon. La forêt était une solitude, ce plateau était un désert. Dans la forêt, derrière chaque buisson on pouvait rencontrer quelqu’un ; sur le plateau, aussi loin que le regard pouvait s’étendre, on ne voyait rien. Quelques oiseaux qui avaient l’air de fuir volaient dans les bruyères.

Alors, en présence de cet abandon immense, sentant fléchir ses genoux, et comme devenue insensée, la mère éperdue jeta à la solitude ce cri étrange : – Y a-t-il quelqu’un ici ?

Et elle attendit la réponse.

On répondit.

Une voix sourde et profonde éclata, cette voix venait du fond de l’horizon, elle se répercuta d’écho en écho ; cela ressemblait à un coup de tonnerre à moins que ce ne fût un coup de canon ; et il semblait que cette voix répliquait à la question de la mère et qu’elle disait : – Oui.

Puis le silence se fit.

La mère se dressa, ranimée ; il y avait quelqu’un. Il lui paraissait qu’elle avait maintenant à qui parler ; elle venait de boire et de prier ; les forces lui revenaient, elle se mit à gravir le plateau du côté où elle avait entendu l’énorme voix lointaine.

Tout à coup elle vit sortir de l’extrême horizon une haute tour. Cette tour était seule dans ce sauvage paysage ; un rayon du soleil couchant l’empourprait. Elle était à plus d’une lieue de distance. Derrière cette tour se perdait dans la brume une grande verdure diffuse qui était la forêt de Fougères.

Cette tour lui apparaissait sur le même point de l’horizon d’où était venu ce grondement qui lui avait semblé un appel. Était-ce cette tour qui avait fait ce bruit ?

Michelle Fléchard était arrivée sur le sommet du plateau ; elle n’avait plus devant elle que de la plaine.

Elle marcha vers la tour.

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