XI LES DÉSESPÉRÉS

Pendant qu’on délibérait au premier étage, on se barricadait au second. Le succès est une fureur, la défaite est une rage. Les deux étages allaient se heurter éperdument. Toucher à la victoire, c’est une ivresse. En bas il y avait l’espérance, qui serait la plus grande des forces humaines si le désespoir n’existait pas.

Le désespoir était en haut.

Un désespoir calme, froid, sinistre.

En arrivant à cette salle de refuge, au delà de laquelle il n’y avait rien pour eux, le premier soin des assiégés fut de barrer l’entrée. Fermer la porte était inutile, encombrer l’escalier valait mieux. En pareil cas, un obstacle à travers lequel on peut voir et combattre vaut mieux qu’une porte fermée.

La torche plantée dans la torchère du mur par l’Imânus près de la mèche soufrée les éclairait.

Il y avait dans cette salle du second un de ces gros et lourds coffres de chêne où l’on serrait les vêtements et le linge avant l’invention des meubles à tiroirs.

Ils traînèrent ce coffre et le dressèrent debout sous la porte de l’escalier. Il s’y emboîtait solidement et bouchait l’entrée. Il ne laissait d’ouvert, près de la voûte, qu’un espace étroit, pouvant laisser passer un homme, excellent pour tuer les assaillants un à un. Il était douteux qu’on s’y risquât.

L’entrée obstruée leur donnait un répit.

Ils se comptèrent.

Les dix-neuf n’étaient plus que sept, dont l’Imânus.

Excepté l’Imânus et le marquis, tous étaient blessés.

Les cinq qui étaient blessés, mais très vivants, car, dans la chaleur du combat, toute blessure qui n’est pas mortelle vous laisse aller et venir, étaient Chatenay, dit Robi, Guinoiseau, Hoisnard Branche-d’Or, Brin-d’Amour et Grand-Francœur. Tout le reste était mort.

Ils n’avaient plus de munitions. Les gibernes étaient épuisées. Ils comptèrent les cartouches. Combien, à eux sept, avaient-ils de coups à tirer ? Quatre.

On était arrivé à ce moment où il n’y a plus qu’à tomber. On était acculé à l’escarpement, béant et terrible. Il était difficile d’être plus près du bord.

Cependant l’attaque venait de recommencer ; mais lente et d’autant plus sûre. On entendait les coups de crosse des assiégeants sondant l’escalier marche à marche.

Nul moyen de fuir. Par la bibliothèque ? Il y avait là sur le plateau six canons braqués, mèche allumée. Par les chambres d’en haut ? À quoi bon ? elles aboutissaient à la plate-forme. Là on trouvait la ressource de se jeter du haut en bas de la tour.

Les sept survivants de cette bande épique se voyaient inexorablement enfermés et saisis par cette épaisse muraille qui les protégeait et qui les livrait. Ils n’étaient pas encore pris ; mais ils étaient déjà prisonniers.

Le marquis éleva la voix :

– Mes amis, tout est fini.

Et après un silence, il ajouta :

– Grand-Francœur redevient l’abbé Turmeau.

Tous s’agenouillèrent, le rosaire à la main. Les coups de crosse des assaillants se rapprochaient.

Grand-Francœur, tout sanglant d’une balle qui lui avait effleuré le crâne et arraché le cuir chevelu, dressa de la main droite son crucifix. Le marquis, sceptique au fond, mit un genou en terre.

– Que chacun, dit Grand-Francœur, confesse ses fautes à haute voix. Monseigneur, parlez.

Le marquis répondit :

– J’ai tué.

– J’ai tué, dit Hoisnard.

– J’ai tué, dit Guinoiseau.

– J’ai tué, dit Brin-d’Amour.

– J’ai tué, dit Chatenay.

– J’ai tué, dit l’Imânus.

Et Grand-Francœur reprit :

– Au nom de la très sainte Trinité, je vous absous. Que vos âmes aillent en paix.

– Ainsi soit-il, répondirent toutes les voix.

Le marquis se releva.

– Maintenant, dit-il, mourons.

– Et tuons, dit l’Imânus.

Les coups de crosse commençaient à ébranler le coffre qui barrait la porte.

– Pensez à Dieu, dit le prêtre. La terre n’existe plus pour vous.

– Oui, reprit le marquis, nous sommes dans la tombe.

Tous courbèrent le front et se frappèrent la poitrine. Le marquis seul et le prêtre étaient debout. Les yeux étaient fixés à terre, le prêtre priait, les paysans priaient, le marquis songeait. Le coffre, battu comme par des marteaux, sonnait lugubrement.

En ce moment une voix vive et forte, éclatant brusquement derrière eux, cria :

– Je vous l’avais bien dit, monseigneur !

Toutes les têtes se retournèrent, stupéfaites.

Un trou venait de s’ouvrir dans le mur.

Une pierre, parfaitement rejointoyée avec les autres, mais non cimentée, et ayant un piton en haut et un piton en bas, venait de pivoter sur elle-même à la façon des tourniquets, et en tournant avait ouvert la muraille. La pierre ayant évolué sur son axe, l’ouverture était double et offrait deux passages, l’un à droite, l’autre à gauche, étroits, mais suffisants pour laisser passer un homme. Au delà de cette porte inattendue on apercevait les premières marches d’un escalier en spirale. Une face d’homme apparaissait à l’ouverture.

Le marquis reconnut Halmalo.

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