XIV L’IMANUS AUSSI S’ÉVADE

En cet instant-là, un grand bruit se fit, le coffre violemment poussé s’effondra, et livra passage à un homme qui se rua dans la salle, le sabre à la main.

– C’est moi, Radoub ; qui en veut ? Ça m’ennuie d’attendre. Je me risque. C’est égal, je viens toujours d’en éventrer un. Maintenant je vous attaque tous. Qu’on me suive ou qu’on ne me suive pas, me voilà. Combien êtes-vous ?

C’était Radoub, en effet, et il était seul. Après le massacre que l’Imânus venait de faire dans l’escalier, Gauvain, redoutant quelque fougasse masquée, avait fait replier ses hommes et se concertait avec Cimourdain.

Radoub, le sabre à la main sur le seuil, dans cette obscurité où la torche presque éteinte jetait à peine une lueur, répéta sa question :

– Je suis un. Combien êtes-vous ?

N’entendant rien, il avança. Un de ces jets de clarté qu’exhalent par instants les foyers agonisants et qu’on pourrait appeler des sanglots de lumière, jaillit de la torche et illumina toute la salle.

Radoub avisa un des petits miroirs accrochés au mur, s’en approcha, regarda sa face ensanglantée et son oreille pendante, et dit :

– Démantibulage hideux.

Puis il se retourna, stupéfait de voir la salle vide.

– Il n’y a personne ! s’écria-t-il. Zéro d’effectif.

Il aperçut la pierre qui avait tourné, l’ouverture et l’escalier.

– Ah ! je comprends. Clef des champs. Venez donc tous ! camarades, venez ! ils s’en sont allés. Ils ont filé, fusé, fouiné, fichu le camp. Cette cruche de vieille tour était fêlée. Voici le trou par où ils ont passé, canailles ! Comment veut-on qu’on vienne à bout de Pitt et Cobourg avec des farces comme ça ! C’est le bon Dieu du diable qui est venu à leur secours ! Il n’y a plus personne !

Un coup de pistolet partit, une balle lui effleura le coude et s’aplatit contre le mur.

– Mais si ! il y a quelqu’un. Qui est-ce qui a la bonté de me faire cette politesse ?

– Moi, dit une voix.

Radoub avança la tête et distingua dans le clair-obscur quelque chose qui était l’Imânus.

– Ah ! cria-t-il. J’en tiens un. Les autres se sont échappés, mais toi, tu n’échapperas pas.

– Crois-tu ? répondit l’Imânus.

Radoub fit un pas et s’arrêta.

– Hé, l’homme qui es par terre, qui es-tu ?

– Je suis celui qui est par terre et qui se moque de ceux qui sont debout.

– Qu’est-ce que tu as dans ta main droite ?

– Un pistolet.

– Et dans ta main gauche ?

– Mes boyaux.

– Je te fais prisonnier.

– Je t’en défie.

Et l’Imânus, se penchant sur la mèche en combustion, soufflant son dernier soupir sur l’incendie, expira.

Quelques instants après, Gauvain et Cimourdain, et tous, étaient dans la salle. Tous virent l’ouverture. On fouilla les recoins, on sonda l’escalier ; il aboutissait à une sortie dans le ravin. On constata l’évasion. On secoua l’Imânus, il était mort. Gauvain, une lanterne à la main, examina la pierre qui avait donné issue aux assiégés ; il avait entendu parler de cette pierre tournante, mais lui aussi tenait cette légende pour une fable. Tout en considérant la pierre, il aperçut quelque chose qui était écrit au crayon ; il approcha la lanterne et lut ceci :

Au revoir, monsieur le vicomte. –

LANTENAC.

Guéchamp avait rejoint Gauvain. La poursuite était évidemment inutile, la fuite était consommée et complète, les évadés avaient pour eux tout le pays, le buisson, le ravin, le taillis, l’habitant ; ils étaient sans doute déjà bien loin ; nul moyen de les retrouver ; et la forêt de Fougères tout entière était une immense cachette. Que faire ? Tout était à recommencer. Gauvain et Guéchamp échangeaient leurs désappointements et leurs conjectures.

Cimourdain écoutait, grave, sans dire une parole.

– À propos, Guéchamp, dit Gauvain, et l’échelle ?

– Commandant, elle n’est pas arrivée.

– Mais pourtant nous avons vu venir une voiture escortée par des gendarmes.

Guéchamp répondit :

– Elle n’apportait pas l’échelle.

– Qu’est-ce donc qu’elle apportait ?

– La guillotine, dit Cimourdain.

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