IV Leur vie sous terre

Les hommes dans ces caves de bêtes s’ennuyaient. La nuit, quelquefois, à tout risque, ils sortaient et s’en allaient danser sur la lande voisine. Ou bien ils priaient pour tuer le temps. Tout le jour, dit Bourdoiseau, Jean Chouan nous faisait chapeletter.

Il était presque impossible, la saison venue, d’empêcher ceux du Bas-Maine de sortir pour se rendre à la Fête de la Gerbe. Quelques-uns avaient des idées à eux. Denys, dit Tranche-Montagne, se déguisait en femme pour aller à la comédie à Laval ; puis il rentrait dans son trou.

Brusquement ils allaient se faire tuer, quittant le cachot pour le sépulcre.

Quelquefois ils soulevaient le couvercle de leur fosse, et ils écoutaient si l’on se battait au loin ; ils suivaient de l’oreille le combat. Le feu des républicains était régulier, le feu des royalistes était éparpillé ; ceci les guidait. Si les feux de peloton cessaient subitement, c’était signe que les royalistes avaient le dessous ; si les feux saccadés continuaient et s’enfonçaient à l’horizon, c’était signe qu’ils avaient le dessus. Les blancs poursuivaient toujours ; les bleus jamais, ayant le pays contre eux.

Ces belligérants souterrains étaient admirablement renseignés. Rien de plus rapide que leurs communications, rien de plus mystérieux. Ils avaient rompu tous les ponts, ils avaient démonté toutes les charrettes, et ils trouvaient moyen de tout se dire et de s’avertir de tout. Des relais d’émissaires étaient établis de forêt à forêt, de village à village, de ferme à ferme, de chaumière à chaumière, de buisson à buisson.

Tel paysan qui avait l’air stupide passait portant des dépêches dans son bâton, qui était creux.

Un ancien constituant, Boétidoux, leur fournissait, pour aller et venir d’un bout à l’autre de la Bretagne, des passeports républicains nouveau modèle, avec les noms en blanc, dont ce traître avait des liasses. Il était impossible de les surprendre. Des secrets livrés, dit Puysaye, à plus de quatre cent mille individus ont été religieusement gardés.

Il semblait que ce quadrilatère fermé au sud par la ligne des Sables à Thouars, à l’est par la ligne de Thouars à Saumur et par la rivière de Thoué, au nord par la Loire et à l’ouest par l’Océan, eût un même appareil nerveux, et qu’un point de ce sol ne pût tressaillir sans que tout s’ébranlât. En un clin d’œil on était informé de Noirmoutier à Luçon et le camp de La Loué savait ce que faisait le camp de la Croix-Morineau. On eût dit que les oiseaux s’en mêlaient. Hoche écrivait, 7 messidor an III : On croirait qu’ils ont des télégraphes.

C’étaient des clans, comme en Écosse. Chaque paroisse avait son capitaine. Cette guerre, mon père l’a faite, et j’en puis parler.

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