SCÈNE QUATRIÈME.

RUY BLAS, DON GURITAN.

DON GURITAN, repoussant son épée dans le fourreau.

J’en apporterai deux de pareille longueur.

RUY BLAS.

Monsieur, que signifie?...

DON GURITAN, avec gravité.

En mille six cent cinquante,

J’étais très-amoureux. J’habitais Alicante.

Un jeune homme, bien fait, beau comme les amours,

Regardait de fort près ma maîtresse, et toujours

Passait sous son balcon, devant la cathédrale,

Plus fier qu’un capitan sur la barque amirale.

Il avait nom Vasquez, seigneur, quoique bâtard.

Je le tuai.—

Ruy Blas veut l’interrompre, don Guritan l’arrête du geste, et continue.

Vers l’an soixante-six, plus tard,

Gil, comte d’Iscola, cavalier magnifique,

Envoya chez ma belle, appelée Angélique,

Avec un billet doux, qu’elle me présenta,

Un esclave nommé Grifel de Viserta.

Je fis tuer l’esclave et je tuai le maître.

RUY BLAS.

Monsieur!...

DON GURITAN, poursuivant.

Plus tard, vers l’an quatre-vingt, je crus être

Trompé par ma beauté, fille aux tendres façons,

Pour Tirso Gamonal, un de ces beaux garçons

Dont le visage altier et charmant s’accommode

D’un panache éclatant. C’est l’époque où la mode

Était qu’on fit ferrer ses mules en or fin.

Je tuai don Tirso Gamonal.

RUY BLAS.

Mais enfin

Que veut dire cela, monsieur?

DON GURITAN.

Cela veut dire,

Comte, qu’il sort de l’eau du puits quand on en tire;

Que le soleil se lève à quatre heures demain;

Qu’il est un lieu désert et loin de tout chemin,

Commode aux gens de cœur, derrière la chapelle;

Qu’on vous nomme, je crois, César, et qu’on m’appelle

Don Gaspar Guritan Tassis y Guevarra,

Comte d’Oñate.

RUY BLAS, froidement.

Bien, monsieur, on y sera.

Depuis quelques instants, Casilda, curieuse, est entrée à pas de loup par la petite porte du fond, et a écouté les dernières paroles des deux interlocuteurs sans être vue d’eux.

CASILDA, à part.

Un duel! avertissons la reine.

Elle rentre et disparaît par la petite porte.

DON GURITAN, toujours imperturbable.

En vos études,

S’il vous plaît de connaître un peu mes habitudes,

Pour votre instruction, monsieur, je vous dirai

Que je n’ai jamais eu qu’un goût fort modéré

Pour ces godelureaux, grands friseurs de moustache,

Beaux damerets sur qui l’œil des femmes s’attache,

Qui sont tantôt plaintifs et tantôt radieux,

Et qui, dans les maisons, faisant force clins d’yeux

Prenant sur les fauteuils d’adorables tournures,

Viennent s’évanouir pour des égratignures.

RUY BLAS.

Mais—je ne comprends pas.

DON GURITAN.

Vous comprenez fort bien.

Nous sommes tous les deux épris du même bien.

L’un de nous est de trop dans ce palais. En somme,

Vous êtes écuyer, moi je suis majordome.

Droits pareils. Au surplus, je suis mal partagé,

La partie entre nous n’est pas égale: j’ai

Le droit du plus ancien, vous le droit du plus jeune.

Donc vous me faites peur. A la table où je jeûne

Voir un jeune affamé s’asseoir avec des dents

Effrayantes, un air vainqueur, des yeux ardents,

Cela me trouble fort. Quant à lutter ensemble

Sur le terrain d’amour, beau champ qui toujours tremble,

De fadaises, mon cher, je sais mal faire assaut,

J’ai la goutte; et d’ailleurs ne suis point assez sot

Pour disputer le cœur d’aucune Pénélope

Contre un jeune gaillard si prompt à la syncope.

C’est pourquoi vous trouvant fort beau, fort caressant,

Fort gracieux, fort tendre et fort intéressant,

Il faut que je vous tue.

RUY BLAS.

Eh bien, essayez.

DON GURITAN.

Comte

De Garofa, demain, à l’heure où le jour monte,

A l’endroit indiqué, sans témoin, ni valet,

Nous nous égorgerons galamment, s’il vous plaît,

Avec épée et dague, en dignes gentilshommes,

Comme il sied quand on est des maisons dont nous sommes.

Il tend la main à Ruy Blas qui la lui prend.

RUY BLAS.

Pas un mot de ceci, n’est-ce pas?—

Le comte fait un signe d’adhésion.

A demain.

Ruy Blas sort.

DON GURITAN, resté seul.

Non, je n’ai pas du tout senti trembler sa main,

Être sûr de mourir et faire de la sorte,

C’est d’un brave jeune homme!

Bruit d’une clef à la petite porte de la chambre de la reine. Don Guritan se retourne.

On ouvre cette porte?

La reine paraît et marche vivement vers don Guritan, surpris et charmé de la voir. Elle tient entre ses mains la petite cassette.

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