SCÈNE QUATRIÈME.

RUY BLAS, DON SALLUSTE.

DON SALLUSTE.

Ruy Blas?

RUY BLAS, se retournant vivement.

Monseigneur?

DON SALLUSTE.

Ce matin,

Quand vous êtes venu, je ne suis pas certain

S’il faisait jour déjà?

RUY BLAS.

Pas encore, Excellence.

J’ai remis au portier votre passe en silence,

Et puis je suis monté.

DON SALLUSTE.

Vous étiez en manteau?

RUY BLAS.

Oui, monseigneur.

DON SALLUSTE.

Personne en ce cas au château

Ne vous a vu porter cette livrée encore?

RUY BLAS.

Ni personne à Madrid.

DON SALLUSTE, désignant du doigt la porte par où est sorti don César.

C’est fort bien. Allez clore

Cette porte. Quittez cet habit.

Ruy Blas dépouille son surtout de livrée et le jette sur un fauteuil.

Vous avez

Une belle écriture, il me semble.—Écrivez:

Il fait signe à Ruy Blas de s’asseoir à la table où sont les plumes et les écritoires. Ruy Blas obéit.

Vous m’allez aujourd’hui servir de secrétaire.

D’abord, un billet doux,—je ne veux rien vous taire,—

Pour ma reine d’amour, pour doña Praxedis,

Ce démon que je crois venu du paradis.

—Là, je dicte. «Un danger terrible est sur ma tête.

«Ma reine seule—peut conjurer la tempête,

«En venant me trouver ce soir dans ma maison.

«Sinon, je suis perdu. Ma vie et ma raison

«Et mon cœur, je mets tout à ses pieds que je baise.»

Il rit et s’interrompt.

Un danger! la tournure, au fait, n’est pas mauvaise

Pour l’attirer chez moi. C’est que j’y suis expert.

Les femmes aiment fort à sauver qui les perd.

—Ajoutez:—«Par la porte au bas de l’avenue,

«Vous entrerez la nuit sans être reconnue.

«Quelqu’un de dévoué vous ouvrira.»—D’honneur,

C’est parfait.—Ah! signez.

RUY BLAS.

Votre nom, monseigneur?

DON SALLUSTE.

Non pas. Signez César. C’est mon nom d’aventure.

RUY BLAS, après avoir obéi.

La dame ne pourra connaître l’écriture?

DON SALLUSTE.

Bah! le cachet suffit. J’écris souvent ainsi.

Ruy Blas, je pars ce soir, et je vous laisse ici.

J’ai sur vous les projets d’un ami très-sincère.

Votre état va changer, mais il est nécessaire

De m’obéir en tout. Comme en vous j’ai trouvé

Un serviteur discret, fidèle et réservé...

RUY BLAS, s’inclinant.

Monseigneur!

DON SALLUSTE, continuant.

Je veux vous faire un destin plus large.

RUY BLAS, montrant le billet qu’il vient d’écrire.

Où faut-il adresser la lettre?

DON SALLUSTE.

Je m’en charge.

S’approchant de Ruy Blas d’un air significatif.

Je veux votre bonheur.

Un silence. Il fait signe à Ruy Blas de se rasseoir à table.

Écrivez:—«Moi, Ruy Blas,

«Laquais de monseigneur le marquis de Finlas,

«En toute occasion, ou secrète ou publique,

«M’engage à le servir comme un bon domestique.»

Ruy Blas obéit.

—Signez. De votre nom. La date. Bien. Donnez.

Il ploie et serre dans son portefeuille la lettre et le papier que Ruy Blas vient d’écrire.

On vient de m’apporter une épée. Ah! tenez,

Elle est sur ce fauteuil.

Il désigne le fauteuil sur lequel il a posé l’épée et le chapeau. Il y va et prend l’épée.

L’écharpe est d’une soie

Peinte et brodée au goût le plus nouveau qu’on voie.

Il lui fait admirer la souplesse du tissu.

Touchez.—Que dites-vous, Ruy Blas, de cette fleur?

La poignée est de Gil, le fameux ciseleur,

Celui qui le mieux creuse, au gré des belles filles,

Dans un pommeau d’épée une boîte à pastilles.

Il passe au cou de Ruy Blas l’écharpe à laquelle est attachée l’épée.

Mettez-la donc.—Je veux en voir sur vous l’effet.

—Mais vous avez ainsi l’air d’un seigneur parfait!

Écoutant.

On vient... oui. C’est bientôt l’heure où la reine passe.—

—Le marquis del Basto!—

La porte du fond sur la galerie s’ouvre. Don Salluste détache son manteau et le jette vivement sur les épaules de Ruy Blas, au moment où le marquis del Basto paraît; puis il va droit au marquis, en entraînant avec lui Ruy Blas stupéfait.

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