XI

La mer était trop grosse à la pointe pour en chercher le port. Il fallut nous résoudre à aborder l’île par ses flancs et au milieu de ses écueils. « N’ayons plus d’inquiétude, enfants, nous dit le pêcheur en reconnaissant le rivage à la clarté de la torche, la Madone nous a sauvés. Nous tenons la terre et nous coucherons cette nuit dans ma maison. » Nous crûmes qu’il avait perdu l’esprit, car nous ne lui connaissions d’autre demeure que sa cave sombre de la Margellina, et, pour y revenir avant la nuit, il fallait se rejeter dans le canal, doubler le cap et affronter de nouveau la mer mugissante à laquelle nous venions d’échapper.

Mais lui souriait de notre air d’étonnement, et comprenant nos pensées dans nos yeux : « Soyez tranquilles, jeunes gens, reprit-il, nous y arriverons sans qu’une seule vague nous mouille. » Puis il nous expliqua qu’il était de Procida ; qu’il possédait encore sur cette côte de l’île la cabane et le jardin de son père, et qu’en ce moment même sa femme âgée avec sa petite-fille, sœur de Beppino, notre jeune mousse, et deux autres petits-enfants, étaient dans sa maison, pour y sécher les figues et pour y vendanger les treilles dont ils vendaient les raisins à Naples. « Encore quelques coups de rame, ajouta-t-il, et nous boirons de l’eau de la source, qui est plus limpide que le vin d’Ischia. »

Ces mots nous rendirent courage ; nous ramâmes encore pendant l’espace d’environ une lieue le long de la côte droite et écumeuse de Procida. De temps en temps, l’enfant élevait et secouait sa torche. Elle jetait sa lueur sinistre sur les rochers, et nous montrait partout une muraille inabordable. Enfin, au tournant d’une pointe de granit qui s’avançait en forme de bastion dans la mer nous vîmes la falaise fléchir et se creuser un peu comme une brèche dans un mur d’enceinte ; un coup de gouvernail nous fit virer droit à la côte, trois dernières lames jetèrent notre barque harassée entre deux écueils, où l’écume bouillonnait sur un bas-fond.

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