VI

Sous les traits les plus disgracieux, il y avait quelque chose d’angélique dans l’amour du pauvre Cecco. Aussi, bien loin d’être humilié ou jaloux des familiarités et des préférences dont j’étais à ses yeux l’objet de la part de Graziella, il m’aimait parce qu’elle m’aimait. Dans l’affection de sa cousine il ne demandait pas la première place ou la place unique, mais la seconde ou la dernière : tout lui suffisait. Pour lui plaire un moment, pour en obtenir un regard de complaisance, un geste, un mot gracieux, il serait venu me chercher au fond de la France et me ramener à celle qui me préférait à lui. Je crois même qu’il m’eût haï si j’avais fait de la peine à sa cousine.

Son orgueil était en elle comme son amour. Peut-être aussi, froid à l’intérieur réfléchi, sensé et méthodique, tel que Dieu et son infirmité l’avaient fait, calculait-il instinctivement que mon empire sur les penchants de sa cousine ne serait pas éternel ; qu’une circonstance quelconque, mais inévitable, nous séparerait ; que j’étais étranger, d’un pays lointain, d’une condition et d’une fortune évidemment incompatibles avec celles de la fille d’un marinier de Procida ; qu’un jour ou l’autre l’intimité entre sa cousine et moi se romprait comme elle s’était formée ; qu’elle lui resterait alors seule, abandonnée, désolée ; que ce désespoir même fléchirait son cœur et le lui donnerait brisé, mais tout entier. Ce rôle de consolateur et d’ami était le seul auquel il pût prétendre. Mais son père avait une autre pensée pour lui.

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