VIII LA PROVIDENCE À L’HOMME.

Quoi ! le fils du néant a maudit l’existence !

Quoi ! tu peux m’accuser de mes propres bienfaits !

Tu peux fermer tes yeux à la magnificence

Des dons que je t’ai faits !

Tu n’étais pas encor, créature insensée,

Déjà de ton bonheur j’enfantais le dessein ;

Déjà, comme son fruit, l’éternelle pensée

Te portait dans son sein.

Oui, ton être futur vivait dans ma mémoire ;

Je préparais les temps selon ma volonté.

Enfin ce jour parut ; je dis : « Nais pour ma gloire

Et ta félicité ! »

Tu naquis : ma tendresse, invisible et présente,

Ne livra pas mon œuvre aux chances du hasard ;

J’échauffai de tes sens la sève languissante

Des feux de mon regard.

D’un lait mystérieux je remplis la mamelle ;

Tu t’enivras sans peine à ces sources d’amour.

J’affermis les ressorts, j’arrondis la prunelle

Où se peignit le jour.

Ton âme, quelque temps par les sens éclipsée,

Comme tes yeux au jour, s’ouvrit à la raison :

Tu pensas ; la parole acheva ta pensée,

Et j’y gravai mon nom.

En quel éclatant caractère

Ce grand nom s’offrit à tes yeux !

Tu vis ma bonté sur la terre,

Tu lus ma grandeur dans les cieux !

L’ordre était mon intelligence ;

La nature, ma providence ;

L’espace, mon immensité !

Et, de mon être ombre altérée,

Le temps te peignit ma durée,

Et le destin, ma volonté !

Tu m’adoras dans ma puissance,

Tu me bénis dans ton bonheur,

Et tu marchas en ma présence

Dans la simplicité du cœur ;

Mais aujourd’hui que l’infortune

A couvert d’une ombre importune

Ces vives clartés du réveil,

Ta voix m’interroge et me blâme,

Le nuage couvre ton âme,

Et tu ne crois plus au soleil.

« Non, tu n’es plus qu’un grand problème

Que le sort offre à la raison ;

Si ce monde était ton emblème,

Ce monde serait juste et bon. »

Arrête, orgueilleuse pensée !

À la loi que je t’ai tracée

Tu prétends comparer ma loi ?

Connais leur différence auguste :

Tu n’as qu’un jour pour être juste ;

J’ai l’éternité devant moi !

Quand les voiles de ma sagesse

À tes yeux seront abattus,

Ces maux dont gémit ta faiblesse

Seront transformés en vertus.

De ces obscurités cessantes

Tu verras sortir triomphantes

Ma justice et ta liberté :

C’est la flamme qui purifie

Le creuset divin où la vie

Se change en immortalité !

Mais ton cœur endurci doute encore et murmure :

Ce jour ne suffit pas à tes yeux révoltés,

Et dans la nuit des sens tu voudrais voir éclore

De l’éternelle aurore

Les célestes clartés !

Attends ; ce demi-jour, mêlé d’une ombre obscure,

Suffit pour te guider en ce terrestre lieu :

Regarde qui je suis, et marche sans murmure,

Comme fait la nature

Sur la foi de son Dieu.

La terre ne sait pas la loi qui la féconde ;

L’Océan, refoulé sous mon bras tout-puissant,

Sait-il comment, au gré du nocturne croissant,

De sa prison profonde

La mer vomit son onde,

Et des bords qu’elle inonde

Recule en mugissant ?

Ce soleil éclatant, ombre de la lumière,

Sait-il où le conduit le signe de ma main ?

S’est-il tracé lui-même un glorieux chemin ?

Au bout de sa carrière,

Quand j’éteins sa lumière,

Promet-il à la terre

Le soleil de demain ?

Cependant tout subsiste et marche en assurance.

Ma voix chaque matin réveille l’univers ;

J’appelle le soleil du fond de ses déserts :

Franchissant la distance,

Il monte en ma présence,

Me répond, et s’élance

Sur le trône des airs !

Et toi, dont mon souffle est la vie,

Toi, sur qui mes yeux sont ouverts,

Peux-tu craindre que je t’oublie,

Homme, roi de cet univers ?

Crois-tu que ma vertu sommeille ?

Non, mon regard immense veille

Sur tous les mondes à la fois !

La mer qui fuit à ma parole,

Ou la poussière qui s’envole,

Suivent et comprennent mes lois.

Marche au flambeau de l’espérance

Jusque dans l’ombre du trépas,

Assuré que ma providence

Ne tend point de piège à tes pas !

Chaque aurore la justifie,

L’univers entier s’y confie,

Et l’homme seul en a douté !

Mais ma vengeance paternelle

Confondra ce doute infidèle

Dans l’abîme de ma bonté.

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