III LES AÉROPHYTES

Je me réveillai plusieurs fois, cette nuit-là, sous l'empire de cauchemars que j'attribuai à la fatigue et aux émotions, mais qui, chose bizarre, se reproduisaient identiquement pareils, chaque fois que je venais à fermer les yeux.

« Je rêvais qu'un Erloor me tenait le genou sur la poitrine et m'étranglait ou que j'étais broyé par les anneaux d'un énorme serpent.

« J'ouvrais les yeux, le front moite d'une sueur d'agonie, mais je me rassurais bientôt au tranquille spectacle qui m'entourait.

« Le foyer, soigneusement entretenu par les veilleurs, jetait de paisibles clartés, et tout autour les Martiens reposaient roulés dans leurs manteaux de plumes. À l'horizon, la prairie flottante des aérophytes formait comme un grand nuage brun.

« Je me rendormais ; mais pour me réveiller presque aussitôt en proie à la même hantise.

« Enfin, le jour se leva, et je donnai le signal du réveil à toute la troupe.

« Eeeoys, en venant m'embrasser comme elle le faisait chaque matin, me raconta qu'elle aussi avait été tourmentée par des cauchemars et, chose extraordinaire, ils étaient exactement pareils aux miens.

« J'essayai de ne pas attacher à ce fait plus d'importance qu'il n'en méritait, mais, malgré moi, j'étais inquiet, en proie à cette nervosité qui accompagne la fatigue et l'insomnie.

« Je fus frappé de l'air triste et pensif de ma petite amie, et je tentai vainement de la distraire de ses craintes.

« – Tu as beau dire, murmura-t-elle en secouant la tête, je sens qu'un danger nous menace. J'ai le pressentiment que je ne reverrai plus mon père. Tu as eu tort, il ne fallait pas essayer de pénétrer le secret des régions interdites ; nos pères ont toujours assuré qu'il ne pouvait résulter que de grands malheurs de cette curiosité.

« Malgré moi, je partageais ses appréhensions, mais je n'eus garde de le laisser paraître.

« – Tu es une petite peureuse, dis-je en m'efforçant de sourire, tu as la mine rechignée des enfants qui n'ont pas assez dormi !

« Quand tu seras mieux éveillée, tu ne penseras plus à toutes ces sottes histoires.

« Occupons-nous maintenant des choses sérieuses.

« Il s'agit de se frayer un chemin à travers le marécage aérien.

« – Comment t'y prendras-tu ? Je n'en vois pas trop le moyen.

« – Le moyen est tout trouvé. Je suis persuadé que ces petites plantes dont la sensibilité nerveuse est si développée doivent avoir horreur de la fumée ; à l'aide d'un grand feu d'herbes mouillées et de branchages verts, nous allons faire victorieusement notre trouée.

« Je n'étais pas aussi sûr du résultat que je m'en vantais, mais je ne voyais pas d'autre stratagème à employer envers ces malencontreuses aérophytes.

« Sur mes ordres, le camp fut levé et on se rapprocha du marécage aérien.

« Précisément, le vent favorisait nos projets, et rabattait du côté du nuage végétal les tourbillons de fumée.

« Tout d'abord, mes prévisions se réalisèrent parfaitement.

« Sitôt qu'elles étaient atteintes par la fumée, les aérophytes faisaient précipitamment mouvoir les ailettes de leurs feuilles et battaient en retraite.

« Toute cette végétation houlait comme la mer au moment d'une tempête.

« En moins d'un quart d'heure, un grand espace se trouva libre devant nous.

« Les Martiens, émerveillés, poussèrent des hourras d'allégresse et s'engagèrent dans le chenal ainsi pratiqué.

« J'étais surpris moi-même de la promptitude et de la facilité avec lesquelles l'obstacle, en apparence insurmontable, avait été aplani.

« Je me reproche amèrement aujourd'hui la légèreté que je montrai en cette occasion.

« Nous avions à peine fait une centaine de pas entre les deux remparts verdoyants, que les plantes formaient à droite et à gauche, lorsque j'entendis derrière moi une sorte de grésillement pareil à celui que produit l'eau versée sur des charbons ardents.

« Je me retournai ; à ma grande consternation, le feu d'herbes mouillées avait été éteint, et les matériaux en étaient dispersés de tous côtés.

« J'étais profondément inquiet et étonné.

« Les Erloors ne pouvaient être coupables de ce dégât, puisqu'il faisait grand jour et que, d'ailleurs, le feu leur inspirait autant de crainte que la lumière ; le sol, d'une roche compacte, ne permettait même pas d'incriminer les Roomboo.

« Je n'eus à ce moment qu'une seule pensée.

« – En arrière ! criai-je de toutes mes forces. Retournons sur nos pas !…

« Il était déjà trop tard.

« Les deux falaises de verdure se rapprochaient. En moins d'une minute, la route fut barrée en avant et en arrière.

« Une minute encore et nous étions littéralement ensevelis sous la masse pesante des herbages.

« J'étais à demi étouffé, comme un nageur empêtré dans les herbes marines.

« J'entendais les cris de détresse, les appels que poussaient les malheureux Martiens, et ces cris arrivaient à mes oreilles de plus en plus faibles.

« Les paquets herbeux à chaque instant plus denses étouffaient leur agonie, et c'était mon nom qu'ils prononçaient, c'était moi qu'ils appelaient à leur secours, moi qu'ils avaient sauvé des griffes des Erloors !

« J'avais le cœur déchiré par ses plaintes ; c'était une véritable rage que je ressentais, de me voir ainsi réduit à l'impuissance.

« Mais Eeeoys ? Dès le premier instant de la catastrophe, elle avait abandonné mon bras, dans un mouvement de terreur irréfléchie.

« J'entendis sa voix, à deux pas de moi.

« – Robert ! suppliait-elle, au secours !

« Je me débattis désespérément contre cette jungle flottante, je tâchai de me diriger du côté d'où partait la voix de la pauvre enfant, mes efforts ne réussirent qu'à rendre plus épais le traitreux réseau où j'étais empêtré, comme un objet emballé dans du foin.

« Chacun de mes mouvements déterminait des réflexes dans les feuilles vibratiles des aérophytes ; si un de mes gestes les repoussait, elles revenaient sur moi plus nombreuses aussitôt après.

« Leur masse pesait au-dessus de ma tête, m'enserrait jusqu'à m'ôter la faculté de faire un mouvement.

« Je ne respirais presque plus ; en même temps, de cet entassement de plantes, dont chacune prise isolément n'avait aucun parfum, s'exhalait une odeur fade et musquée, qui lentement me montait au cerveau et m'engourdissait.

« Je sentais qu'à la longue cette odeur devait être mortelle, comme le parfum des tubéreuses ou des seringas dans une chambre close.

« Je n'y voyais plus, une nuit profonde m'entourait, une âcre poussière de pollen m'entrait dans les yeux et me prenait à la gorge.

« J'avais perdu, dès le commencement, la possibilité de m'orienter. Je ne savais plus, en essayant d'avancer, si je m'enfonçais plus profondément dans l'herbier flottant, ou si je me dirigeais vers l'espace libre.

« Le courage et l'ingéniosité ne pouvaient me servir à rien contre l'aveugle et brutal phénomène.

« Je n'avais même plus la force de lutter ; un instant j'eus l'idée qu'en demeurant immobile les plantes s'écarteraient, que c'étaient mes soubresauts qui les faisaient se précipiter sur moi en plus grand nombre.

« Je m'étais trompé, mon immobilité n'eut pour effet que de resserrer encore les mailles du réseau qui m'étreignait.

« Je ne me débattais plus que faiblement, convaincu que j'étais de l'inutilité de mes efforts.

« Un moment, je butai contre une pierre, mon pied glissa, je tombai, je crus que je ne pourrais plus me relever ; je venais pourtant d'y parvenir en m'arc-boutant avec effort, lorsque l'appel déchirant d'Eeeoys arriva de nouveau à mon oreille :

« – Robert ! Robert !…

« Sa voix semblait éteinte, comme lointaine. Je vis par là que tous mes efforts pour me rapprocher d'elle n'avaient servi qu'à augmenter la distance qui nous séparait. J'eus un mouvement de révolte désespérée… Je fonçai tête baissée à travers cette masse élastique qui rebondissait comme un matelas et ne me résistait que par son inerte puissance. Je broyais des poignées de plantes entre mes doigts crispés j'en écrasais par centaines, tout cela ne réussissait qu'à produire devant moi un faible creux presque aussitôt comblé.

« Mon exaspération, augmentée peut-être par l'odeur entêtante, en arrivait à une sorte de folie. Je me souviens que je mordis furieusement les touffes des diaboliques plantes.

« Tout à coup mon pied heurta un corps étendu.

« Je me baissai en poussant un cri de douleur, je pensais me trouver en présence du corps d'Eeeoys. Je me trompais : à la barbe hirsute que mes doigts rencontrèrent, je me rendis compte que j'avais devant moi l'un des Martiens de l'escorte.

« Je mis la main sur sa poitrine, le cœur ne battait plus, les membres quoique chauds étaient déjà rigides ; enfin, mes doigts se mouillèrent de quelque chose de tiède qui devait être du sang. En même temps je ressentis au pied la vive sensation d'une brûlure.

« J'avais marché sur un de ces vases de terre qui servaient à porter le feu et que le Martien avait laissé tomber dans sa chute.

« Je ne m'attardai pas à chercher comment ce malheureux avait pu être tué, et pour quelle raison, tandis que j'étais encore vivant ; je saisis le vase par son anse d'une main tremblante de joie.

« Je venais d'entrevoir un moyen de salut.

« En tâtonnant, et sans souci des brûlures, je ramassai les charbons qui avaient roulé à terre et je me mis à souffler dessus d'abord doucement, pour enlever la pellicule de cendre blanche dont ils étaient recouverts, puis plus fort, jusqu'à ce qu'il s'élevât une petite flamme bleue.

« Alors, je jetai sur les charbons deux ou trois aérophytes, et ce fut avec un véritable plaisir que je les vis se tordre et se recroqueviller sur le brasier que je ne cessais d'aviver de mon souffle haletant.

« Quand les premières furent consumées, j'en jetai d'autres, un mince tourbillon de fumée monta.

« J'éternuais, je toussais, j'étais suffoqué, mais ce que j'avais espéré se réalisait.

« Piquées par la fumée, les aérophytes s'éloignaient de toute la vitesse de leurs feuilles vibratiles.

« Je balançai mon pot à feu à bout de bras, comme un encensoir, effusant partout les bienfaisantes fumées, bientôt j'eus autour de moi un espace assez grand pour respirer et j'entrevis, comme du fond d'un puits, la tache ronde du ciel bleu au-dessus de ma tête.

« J'étais ivre de joie, plus heureux de l'idée, pourtant bien simple, qui m'était venue, que de la plus géniale découverte. Je voyais déjà Eeeoys sauvée et peut-être tous mes Martiens. Je m'élançai droit devant moi, dissipant, comme un nuage, la multitude des aérophytes. Un tourbillon de vent furieux soulevant des milliers de feuilles jaunies en automne ne donnerait qu'une faible idée de cet étrange spectacle.

« Mais brusquement je revins sur mes pas. Je me faisais un scrupule de conscience de ne pas donner tout d'abord mes soins au malheureux Martien dans le brasero d'argile m'avait apporté le salut.

« Je le retrouvai sans peine, il était presque froid, je ne pouvais rien pour le rappeler à la vie, mais je fus épouvanté de voir son corps ensanglanté et de trouver près de son cou des marques semblables à celles que laissaient les Erloors, mais plus petites et très nombreuses.

À ce passage du récit, Ralph Pitcher et master Frymcock échangèrent un regard, et le lord cuisinier eut un geste instinctif vers son poignet encore couvert d'ecchymoses.

Robert Darvel continua, sans avoir remarqué cette scène, qui n'avait pas échappé aux regards perçants de miss Alberte.

– Toute ma joie était tombée d'un coup. Les Erloors ne pouvaient être mis en cause, quels étaient donc les monstres inconnus qui se tenaient tapis dans l'herbier ? Quelles luttes nouvelles allais-je avoir à soutenir ? Je me le demandai avec angoisse.

« Je ressentis ce froid dans les moelles, cette contraction du larynx qui caractérisent la peur arrivée au suprême degré, et pourtant il ne fallait pas avoir peur, si je voulais sortir vivant de ce gouffre de verdures.

« Je tâchai de me ressaisir, je garnis mon pot à feu d'une nouvelle provision de combustible, et je marchai sans oser me retourner, dans la crainte de voir derrière moi quelque face hideuse ricaner dans l'ombre des feuillages.

« J'avais beau marcher, il me semblait que je n'avançais pas. L'étroite clairière formée par le tourbillon de fumée dont je m'entourais, s'effaçait une fois que j'étais passé, l'éternelle muraille frissonnante et verte semblait ne devoir jamais cesser.

« La panique me gagnait. À deux reprises, je grillai les plumes de ma robe sans même y prendre garde. Ah ! sortir de cet océan de feuillages mouvants ! Je croyais que je n'y réussirais jamais !

Robert Darvel était devenu pâle, son visage amaigri avait eu une contraction d'épouvante, comme s'il eût été encore sous le coup de l'effroyable sensation.

Ce fut avec effort qu'il reprit, après un instant de silence :

– J'y réussis pourtant. Tout d'un coup, au moment où je n'y comptais plus, où je me croyais perdu au fond de l'herbier, je débouchai en pleine clarté ; l'immense horizon se déploya à mes regards.

« J'aspirai avec délices l'air vivifiant tandis que, derrière moi, la trouée qu'avait faite mon passage dans le banc des aérophytes, se refermait lentement, avec une sorte de remous, comme la mer après le passage d'un navire.

« Je demeurai quelques minutes comme hébété de ce succès imprévu, où certainement le hasard était pour beaucoup, car je me rappelai avoir plusieurs fois changé de direction et j'aurais pu marcher pendant des heures – pendant des jours peut-être – avant de sortir du nuage végétal.

« À quelques pas de moi, j'aperçus tout à coup les débris du feu dispersés par des mains inconnues, et du même coup je songeai à Eeeoys.

« J'eusse été le dernier des lâches si je l'avais abandonnée et je me demandais comment j'avais pu l'oublier un seul instant, fût-ce dans l'affolement de la peur.

« Sans réfléchir, je m'élançai de nouveau dans l'herbier ; mais cette fois, je me promis de marcher autant que possible en ligne droite, afin que le retour me fût possible.

« J'appelai, je criai de toutes mes forces ; aucune voix ne répondit à la mienne.

« Je n'avais pas fait dix pas que je heurtai le cadavre d'un de mes Martiens ; il avait été saigné au cou comme le premier ; j'avançai encore, l'esprit accablé des plus funestes pressentiments.

« Bientôt, je trouvai le corps d'Eeeoys. Elle respirait encore faiblement ; mais elle était marquée du sanglant stigmate de la mort.

« À la lueur du feu que je soufflai de toutes mes forces, elle me reconnut et elle prit ma main d'un geste désespéré, elle se cramponnait à ma robe de plumes, comme un noyé s'accroche aux roseaux du rivage. Ses yeux clairs exprimaient une infinie supplication et son étrange chevelure rouge était hérissée de peur.

« – Sauve-moi, balbutia-t-elle, Robert, emmène-moi !… Ils m'ont tuée !…

« Alors, je remarquai son visage exsangue, décoloré comme si tout le sang de ses veines avait fui depuis notre courte séparation.

« J'étais ému de pitié, épouvanté, hors de moi.

« – Oui, je te sauverai, m'écriai-je, je te le promets.

« Et je l'enlevai et l'assis sur mon bras gauche, la tête sur mes épaules comme une enfant, et je me remis en marche avec ce cher fardeau.

« Par malheur, dans mon émotion, j'avais perdu cet empire sur moi-même qui m'était si nécessaire. Je ne savais plus la direction à suivre, j'allais à l'aventure et lentement, car une seule main me restait disponible pour agiter le vase qui contenait le feu.

« Je souffrais le martyr, je sentais que le peu de vie qui restait à l'enfant que je portais s'en allait à chaque minute. Ma marche à travers l'herbier dans ces conditions était un véritable calvaire.

« Tout à coup, je sentis un baiser bien faible sur mon front, le corps d'Eeeoys fut agité d'un long tressaillement, ses bras noués autour de mon cou se raidirent dans l'immobilité.

« Elle était morte.

« J'étais fou de douleur, je lui parlai, je l'embrassai, j'essayai de la ranimer ; j'aurais voulu, comme les thaumaturges antiques, lui infuser de mon souffle vital.

« Mais je vis bien que tout était inutile, les palpitations de la vie ne soulevaient plus sa poitrine.

« J'étais occupé de ces soins et j'avais déposé à côté de moi le vase de feu, sans souci des végétations qui recommençaient à m'enserrer, lorsqu'il me sembla entendre un ricanement dans les profondeurs de l'herbier.

« En même temps, mon pot à feu allait rouler très loin, éparpillant çà et là les charbons qu'il contenait, exactement comme si quelqu'un l'avait renversé d'un coup de pied.

« Posant à terre le corps de la petite Martienne, qui avait été pour moi une amie si dévouée, je m'élançai reconquérir mon feu, ne songeant même pas à expliquer la bizarre façon dont il s'était renversé pour ainsi dire de lui-même.

« Je me jetai à plat ventre dans les herbes ; mais au moment où j'allais le prendre, il m'échappa des mains tout à fait inexplicablement, et comme si ce vase d'argile eût été doué d'une volonté qui lui fût propre il pirouetta sur lui-même comme pour me narguer et roula à quelques pas encore, se vidant des derniers charbons qui n'avaient pas été dispersés par le premier choc.

« En même temps, le rire ironique que je venais d'entendre, retentissait encore, mais cette fois tout proche.

« Je frissonnai d'horreur maintenant j'étais en pleines ténèbres, enseveli sous les aérophytes et si découragé, que je m'étendis à terre, aux côtés d'Eeeoys, pour que la mort vint me prendre aussi.

« Je sentais que je n'aurais pas longtemps à attendre, je ne respirais plus qu'avec peine, au-dessus de moi l'ombre se faisait plus compacte, un moment vaincues, les plantes reprenaient leur place ; l'entêtant et fade parfum m'envahissait le cerveau.

« En ce moment, je revis en une seconde, comme si j'en eusse dominé la perspective du sommet d'une montagne, tout le tableau de ma vie écoulée, avec ses luttes inutiles, ses tragiques péripéties et… ses amours sans espoir…

La voix de Robert Darvel s'était légèrement troublée. Son regard rencontra celui de miss Alberte, qui baissa les yeux, rougissante.

– Et tout cela, reprit-il, pour aboutir à une mort sans gloire, dans une planète inconnue ; comme je songeais à mon étrange destinée, il me sembla qu'un fardeau opprimait ma poitrine, en même temps quelque chose de souple comme une couleuvre et d'agile comme une main, se nouait autour de mon cou.

« Mon rêve de cette nuit ! m'écriai-je ; les serpents…

« Depuis, j'ai pu me convaincre que mon cauchemar avait été parfaitement réel ; mais en ce moment mon imagination fut frappée ; ma vision nocturne m'apparut prophétique.

« J'essayai de me redresser, de me relever, de lutter contre les reptiles de l'herbier, – car je croyais avoir affaire à des reptiles ; c'est à eux que j'attribuais la mort de mes compagnons – je ne pus faire le moindre mouvement.

« Moitié de peur, moitié de suffocation, je perdis connaissance…

* * * * * * *

« Quand je revins à moi, j'eus la sensation d'une atroce fatigue, d'une courbature générale ; en même temps j'étais si affaibli que j'éprouvais la plus grande peine à rassembler mes idées ; le sentiment même de mon existence, la notion de ma personnalité étaient devenus vagues et brumeux. Je savais à peine qui j'étais. Enfin, après de laborieux efforts, j'arrivai à me souvenir. Mais il demeurait dans ma mémoire une solution de continuité, comme un grand trou noir.

« Je ne parvenais pas à me rappeler ce qui s'était passé depuis le moment où j'avais été enlacé par les reptiles de l'herbier jusqu'à celui où je me réveillai.

« Je regardai autour de moi. Je me trouvais dans une cellule exactement cubique, sans apparence de portes ni de fenêtres.

« Les parois étaient faites d'une sorte de verre ou de cristal à demi opaque, semblable à celui qu'on emploie, comme pavage, dans les constructions.

« Je m'aperçus que ce verre était foré de milliers de petits trous, fins comme les plus fines aiguilles et qui laissaient entrer l'air sans pour cela me permettre de voir au dehors. Mais ce qui me surprit plus que tout le reste, c'est qu'il y avait au centre de ma prison une grande jatte de verre, remplie de sang.

« Je fis toutes les suppositions possibles, sans parvenir â deviner dans quel lieu je pouvais bien me trouver.

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