II

Lundi, 26 mars.

C’est lundi de Pâques. Arrivés du désert, nous nous éveillons sous des tentes, au milieu d’un cimetière de Gaza. Plus de Bédouins sauvages autour de nous, plus de chameaux ni de dromadaires. Nos nouveaux hommes, qui sont des Maronites, se hâtent de seller et de harnacher nos nouvelles bêtes, qui sont des chevaux et des mulets ; nous levons le camp pour monter vers Jérusalem.

Précédés de deux gardes d’honneur, que nous a donnés le pacha de la ville et qui écartent devant nous la foule, nous traversons longuement les marchés et les bazars. Ensuite, la banlieue, où l’animation du matin se localise autour des fontaines : tout le peuple des vendeurs d’eau est là, emplissant des outres en peau de mouton et les chargeant sur des ânes. Interminables débris de murailles, de portes, amas de ruines sous des palmiers. Et enfin, le silence de la campagne, les champs d’orges, les bois d’oliviers séculaires, le commencement de la route sablonneuse de Jérusalem, où nos gardes nous quittent.

Nous laissons cette route sur notre gauche, pour prendre, dans les orges vertes, les simples sentiers qui mènent à Hébron. Notre arrivée dans la ville sainte sera retardée de quarante-huit heures par ce détour, mais les pèlerins font ainsi d’habitude pour s’arrêter au tombeau d’Abraham.

Environ dix lieues de route aujourd’hui, dans les orges de velours, coupées de régions d’asphodèles où paissent des troupeaux. De loin en loin, des campements arabes, tentes noires sur le beau vert des herbages. Ou bien des villages fellahs, maisonnettes de terre grise serrées autour de quelque petit dôme blanchi à la chaux, qui est un saint tombeau protecteur.

Sur le soir, le soleil, qui avait été très chaud, se voile peu à peu de brumes tristes, semble n’être plus qu’un pâle disque blanc ; alors, nous prenons conscience du chemin déjà parcouru vers le nord.

En même temps, nous sortons des plaines d’orges pour entrer dans une contrée montagneuse, et bientôt la vallée de Beït-Djibrin, où nous comptons passer la nuit, s’ouvre devant nous.

Vraie vallée de la Terre Promise, où « coulent le lait et le miel ». Elle est verte, d’un vert délicieux de printemps, de prairie de mai, entre ses collines, que des oliviers vigoureux et superbes recouvrent d’un autre vert, magnifiquement sombre. On y marche sur l’épaisseur des herbages, parmi les anémones rouges, les iris violets et les cyclamens roses. Elle est remplie d’un parfum de fleurs et, au centre, miroite un petit lac où boivent à cette heure des moutons et des chèvres.

Sur l’une des collines, est posé le vieux petit village arabe où l’on ramène pour la nuit des troupeaux innombrables ; tandis que l’on dresse notre camp, sur l’herbe haute et fleurie, c’est devant nous un défilé sans fin de bœufs et de moutons, qui montent s’enfermer là, derrière des murs de terre, et que conduisent des bergers en longue robe et en turban, pareils à des saints ou à des prophètes ; des petits enfants suivent, portant avec tendresse dans leurs bras des agneaux nouveau-nés. Les dernières vont s’engouffrer entre les étroites rues de boue séchée, plusieurs centaines de chèvres noires, qui cheminent en masse compacte, comme une longue traînée ininterrompue, d’une couleur et d’un luisant de corbeau ; c’est inouï, ce que ce hameau de Beït-Djibrin peut contenir !… Et, au passage de toutes ces bêtes, une saine odeur d’étable se mêle au parfum de la tranquille campagne.

La vie pastorale d’autrefois est ici retrouvée, la vie biblique, dans toute sa simplicité et sa grandeur.

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