… Rarahu et Tiahoui s’étaient invectivées d’une manière extrêmement violente. – De leurs bouches fraîches étaient sorties pendant plusieurs minutes, sans interruption ni embarras, les injures les plus enfantines et les plus saugrenues, – les plus inconvenantes aussi (le tahitien comme le latin « dans les mots bravant l’honnêteté »).
C’était la première dispute entre les deux petites, et cela amusait beaucoup la galerie ; toutes les jeunes femmes étendues au bord du ruisseau du Fataoua riaient à gorge déployée et les excitaient :
– Tu es heureux, Loti, disait Tétouara, c’est pour toi qu’on se dispute !…
Le fait est que c’était pour moi en effet ; Rarahu avait eu un mouvement de jalousie contre Tiahoui, et là était l’origine de la discussion.
Comme deux chattes qui vont se rouler et s’égratigner, les deux petites se regardaient blêmes, immobiles, tremblantes de colère :
– Tinito oufa ! cria Tiahoui, à bout d’arguments, en faisant une allusion sanglante à la belle robe de gaze verte (mignonne de Chinois) !
– Oviri, Amutaata ! (sauvagesse, cannibale) ! riposta Rarahu qui savait que son amie était venue toute petite d’une des plus lointaines îles Pomotous, – et que si Tiahoui elle-même n’était point cannibale, assurément on l’avait été dans sa famille.
Des deux côtés l’injure avait porté, et les deux petites, se prenant aux cheveux, s’égratignèrent et de mordirent.
On les sépara ; elles se mirent à pleurer, et puis, Rarahu s’étant jetée dans les bras de Tiahoui, toutes deux, qui s’adoraient, finirent par s’embrasser de tout leur cœur…