Papeete, 28 novembre 1873.
A sept heures du matin, – heure délicieuse entre toutes dans les pays du soleil, – j’attendais, dans le jardin de la reine, Taïmaha, à qui j’avais fait donner rendez-vous.
De l’avis même de Rarahu, Taïmaha était une incompréhensible créature qu’elle avait à peine pu voir depuis mon départ et qui ne lui avait jamais donné que des réponses vagues ou incohérentes au sujet des enfants de Rouéri.
A l’heure dite, Taïmaha parut en souriant, et vint s’asseoir près de moi. Pour la première fois je voyais en plein jour cette femme qui, l’année précédente, m’était apparue d’une manière à moitié fantastique, la nuit, et à l’instant du départ.
– Me voici, Loti, dit-elle, – en allant au-devant de mes premières questions, – mais mon fils Taamari n’est pas avec moi ; deux fois j’avais chargé le chef de son district de l’amener ici ; mais il a peur de la mer, et il a refusé de venir. Atario, lui, n’est plus à Tahiti ; la vieille Huahara l’a fait partir pour l’île de Raiatéa, où une de ses sœurs désirait un fils.
Je me heurtais encore contre l’impossible, – contre l’inertie et les inexplicables bizarreries du caractère maori.
Taïmaha souriait. – Je sentais qu’aucun reproche, aucune supplication ne la toucheraient plus. Je savais que ni prières, ni menaces, ni intervention de la reine ne pourraient obtenir que dans des délais si courts on me fît venir de si loin cet enfant que je voulais connaître. Et je ne pouvais prendre mon parti de m’éloigner pour toujours sans l’avoir vu.
– Taïmaha, dis-je après un moment de réflexion silencieuse, nous allons partir ensemble pour l’île de Moorea. Tu ne peux pas refuser au frère de Rouéri de l’accompagner dans son voyage chez ta vieille mère, pour lui montrer ton fils.
Et pourtant j’étais bien avare de ces quelques jours derniers passés à Papeete, bien jaloux de ces dernières heures d’amour et d’étrange bonheur…