Midi ! L’hôpital est silencieux comme une grande maison de la mort.
Midi !… La sauterelle crie. La femme nubienne chante de sa voix grêle la chanson somnolente et vague. Sur toute l’étendue des plaines désertes du Sénégal le soleil darde d’aplomb la lumière torride, les grands horizons miroitent et tremblent.
………………………
Midi !… L’hôpital est silencieux comme une grande maison de la mort. Les longues galeries blanches, les longs couloirs sont vides. Au milieu de la haute muraille nue, teinte de chaux éblouissante, l’horloge marque midi de ses deux lentes aiguilles de fer ; autour du cadran, pâlit au soleil la triste inscription grise : Vitae fugaces exhibet horas. Les douze coups sonnent péniblement, de ce timbre affaibli, connu des mourants, de ce timbre que tous ceux qui sont venus là mourir entendaient dans leurs insomnies fébriles, comme un glas qui tinterais dans un air trop chaud pour conduire des sons.
Midi !… L’heure morne, où les malades meurent. On respire dans cet hôpital des lourdeurs de fièvre, comme d’indéfinissables effluves de mort.
………………………
En haut, dans une salle ouverte, des voix qui chuchotent tout bas, des bruits légers à peine perceptibles, des pas discrets de bonne sœur, marchant avec précaution sur des nattes. Elle va et vient d’un air agité, la sœur Pacôme, pâle et jaunie sous sa grande cornette.
Il y a là aussi un médecin et un prêtre assis auprès d’un lit qu’entoure une moustiquaire blanche.
Au dehors, par les fenêtres ouvertes, du soleil et du sable, du sable et du soleil, de lointaines lignes bleues et des étincellements de lumière.
Passera-t-il, le spahi ?… Est-ce le moment où l’âme de Jean va s’envoler, là, dans l’air accablant de midi ?… Si loin du foyer, où ira-t-elle se poser dans ces plaines désertes ?… où ira-t-elle s’évanouir ?…
………………………
Mais non. Le médecin, qui est resté là longtemps à attendre ce départ suprême, vient de se retirer doucement.
L’heure plus fraîche du soir est venue, et le vent du large apporte aux mourants son apaisement. Ce sera pour demain peut-être. Mais Jean est plus calme et sa tête est moins brûlante.
En bas, dans la rue, devant la porte, il y avait une petite négresse accroupie sur le sable, qui jouait aux osselets avec des cailloux blancs, pour se donner une contenance quand quelqu’un passait. Elle était là depuis le matin, cherchant à ne pas attirer l’attention, se dissimulant, de peur d’être chassée. Elle n’osait rien demander à personne ; mais elle savait bien que, si le spahi mourait, il passerait par cette porte pour aller au cimetière de Sorr.