Cependant Boubakar-Ségou, le grand roi noir, faisait des siennes dans le Diambour et le pays de Djiagabar. Le vent était à une expédition de guerre : on en parlait à Saint-Louis dans les cercles d’officiers ; cela était commenté, discuté de mille façons parmi les soldats, spahis, tirailleurs, ou troupiers d’infanterie de marine. C’était le bruit du jour, et chacun espérait y gagner sa part, de l’avancement, une médaille ou un grade.
Jean, lui, qui allait finir son service, se promettait de racheter là tout ce qu’on avait pu lui reprocher sur sa conduite passée ; il rêvait d’attacher à sa boutonnière le petit ruban jaune des braves, la médaille militaire ; il voulait faire ses adieux éternels au pays noir par quelque belle action de valeur, qui laisserait son nom ineffaçable au quartier des spahis, dans ce coin de la terre où il avait tant vécu et tant souffert.
Entre les casernes, le commandement de la marine et le gouvernement, un rapide échange de correspondance avait lieu chaque jour. Il arrivait chez les spahis de grands plis cachetés qui faisaient rêver les hommes en veste rouge ; on prévoyait une expédition longue et sérieuse et le moment approchait.
Les spahis aiguisaient leur grand sabre de combat, et astiquaient leur fourniment, avec force paroles et bravoure, verres d’absinthe et joyeux propos.