XVI

Le navire continuait sa route. Le fleuve courait plus au sud, et le pays changeait. Des arbustes maintenant sur les deux rives, de frêles gommiers, des mimosas, des tamaris aux feuilles légères, – de l’herbe et des pelouses vertes. – Plus rien de la flore tropicale ; on eût dit la végétation délicate des climats du nord. – A part cet excès de chaleur et de silence, rien ne rappelait plus qu’on était au cœur de l’Afrique ; – on se fût cru sur quelque paisible rivière d’Europe.

Pourtant quelques idylles nègres venaient à passer.

Sous ces bosquets où toutes les bergeries de Watteau eussent trouvé place, on rencontrait quelquefois un amoureux couple africain, couvert de grigris et de verroteries, faisant paître de maigres zébus ou des troupeaux de chèvres. Et plus loin, – d’autres troupeaux, – que personne ne gardait, ceux-là, – des caïmans gris, dormant au soleil par centaines, le ventre à demi plongé dans l’eau chaude. Et Fatou-gaye souriait. – Ses yeux s’illuminaient d’une joie singulière. – Elle reconnaissait l’approche de son pays de Galam !

Une chose l’inquiétait pourtant ; quand elle rencontrait de grands marais herbeux, de grands étangs tristes bordés de palétuviers, – elle fermait les yeux, – de peur de voir sortir des eaux stagnantes quelque mufle noir de ngabou (d’hippopotame), – dont l’apparition eût été, pour elle et les siens, un signe de mort. On ne saurait dire tout ce qu’elle avait déployé de ruse, de persistance, d’insinuation, pour être admise à prendre passage sur ce navire où elle avait su qu’on avait embarqué Jean. Où s’était-elle réfugiée en quittant la maison de la griote ? Dans quel gîte était-elle allée se cacher, pour mettre au monde l’enfant du spahi ? A présent, elle était heureuse : elle retournait en Galam, et elle y retournait avec lui, – c’était son rêve accompli.

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