LXII

En mer, 25 décembre, Noël.

C’était le surlendemain, de très bonne heure, au petit jour. Je montais sur le pont, ayant à peine dormi un moment, après un quart de minuit à quatre heures très dur : nous avions été malmenés toute la nuit par grand vent et grosse mer. Yves était là, tout mouillé, mais très à son aise dans son élément, et, dès qu’il me vit paraître, il me montra de la main, en souriant, un pays singulier duquel nous nous approchions.

Des falaises grises muraient les lointains de l’horizon comme un long rempart. – Une espèce de calme venait de se faire dans les eaux, bien que le vent continuât de nous envoyer sa poussée furieuse. Au ciel, des nuées sombres et lourdes glissaient les unes sur les autres, très vite : toute une voûte de plomb en mouvement ; des choses immenses, obscures, qui se déformaient, qui semblaient très pressées de passer, de courir ailleurs, comme prises du vertige de quelque chute prochaine et formidable. Autour de nous, des milliers d’écueils, des têtes noires qui se dressaient partout au milieu de cet autre remuement argenté que les lames faisaient ; on eût dit d’immenses troupeaux de bêtes marines. À perte de vue, il y en avait toujours, de ces dangereuses têtes noires, la mer en était couverte. Et puis, là-bas, sur la falaise lointaine, les silhouettes de trois clochers très vieux, ayant l’air plantés là tout seuls au milieu d’un désert de granit, l’un dominant de beaucoup les deux autres et dressant sa haute taille comme un géant qui observe et qui préside…

Ah ! oui !… je le reconnaissais bien, celui-là, et, comme Yves, je le saluai d’un sourire ; un peu inquiet cependant de le voir reparaître si près de nous, et au milieu de cette fête de ténèbres, un matin où je ne l’attendais pas… Qu’étions-nous venus faire là, dans son voisinage ? Cela n’entrait pas dans nos projets, je ne comprenais plus.

C’était une décision brusque du commandant, prise pendant mon heure de sommeil : venir à l’entrée de la rade du taureau, tout près de Saint-Pol-de-Léon, chercher un abri contre le vent du sud, la mer au large s’étant faite trop grosse pour nous.

… Et voilà comment, à son retour dans la mer brumeuse, la première visite d’Yves fut pour son clocher.

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