CHAPITRE XVIII

Je crois entendre d'ici Mme de Hautcastel, qui ne me passe rien, me demander compte de la romance dont j'ai parlé dans le chapitre précédent. Pour la première fois de ma vie, je me trouve dans la dure nécessité de lui refuser quelque chose. Si j'insérais ces vers dans mon voyage, on ne manquerait pas de m'en croire l'auteur, ce qui m'attirerait, sur la nécessité des confusions, plus d'une mauvaise plaisanterie que je veux éviter. Je continuerai donc la relation de mon aventure avec mon aimable voisine, aventure dont la catastrophe inattendue, ainsi que la délicatesse avec laquelle je l'ai conduite, sont faites pour intéresser toutes les classes de lecteurs. Mais avant de savoir ce qu'elle me répondit, et comment fut reçu le compliment ingénieux que je lui avais adressé, je dois répondre d'avance à certaines personnes qui se croient plus éloquentes que moi, et qui me condamneront sans pitié pour avoir commencé la conversation d'une manière si triviale à leurs sens. Je leur prouverai que si j'avais fait de l'esprit dans cette occasion importante, j'aurais manqué ouvertement aux règles de la prudence et du bon goût. Tout homme qui entre en conversation avec une belle en disant un bon mot ou en faisant un compliment, quelque flatteur qu'il puisse être, laisse entrevoir des prétentions qui ne doivent paraître que lorsqu'elles commencent à être fondées. En outre, s'il fait de l'esprit, il est évident qu'il cherche à briller, et par conséquent qu'il pense moins à sa dame qu'à lui-même. Or, les dames veulent qu'on s'occupe d'elles ; et, quoiqu'elles ne fassent pas toujours exactement les mêmes réflexions que je viens d'écrire, elles possèdent un sens exquis et naturel qui leur apprend qu'une phrase triviale, dite par le seul motif de lier la conversation et de s'approcher d'elles, vaut mille fois mieux qu'un trait d'es-prit inspiré par la vanité, et mieux encore (ce qui paraîtra bien étonnant) qu'une épître dédicatoire en vers. Bien plus, je soutiens (dût mon sentiment être regardé comme un paradoxe) que cet esprit léger et brillant de la conversation n'est pas même nécessaire dans la plus longue liaison, si c'est vraiment le cœur qui l'a formée ; et, malgré tout ce que les personnes qui n'ont aimé qu'à demi disent des longs intervalles que laissent entre eux les sentiments vifs de l'amour et de l'amitié, la journée est toujours courte lorsqu'on la passe auprès de son amie, et le silence est aussi intéressant que la discussion.

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Quoi qu'il en soit de ma dissertation, il est très sûr que je ne vis rien de mieux à dire, sur le bord du toit où je me trouvais, que les paroles en question. Je ne les eus pas plutôt prononcées que mon âme se transporta tout entière au tympan de mes oreilles, pour saisir jusqu'à la moindre nuance des sons que j'espérais entendre. La belle releva sa tête pour me regarder ; ses longs cheveux se déployèrent comme un voile, et servirent de fond à son visage charmant qui réfléchissait la lumière mystérieuse des étoiles. Déjà sa bouche était entr'ouverte, ses douces paroles s'avançaient sur ses lèvres… Mais, ô ciel ! quelle fut ma surprise et ma terreur ! … Un bruit sinistre se fit entendre :

« Que faites-vous là madame, à cette heure ? Rentrez ! » dit une voix mâle et sonore, dans l'intérieur de l'appartement.

Je fus pétrifié.

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