CHAPITRE XXI

Je serais fort en peine d'expliquer et de définir exactement l'espèce de plaisir que j'éprouvais dans cette circonstance. Tout ce que je puis affirmer, c'est qu'il n'avait rien de commun avec celui que m'avait fait ressentir, quelques moments plus tôt, l'aspect de la voie lactée et du ciel étoilé. Cependant, comme dans les situations embarrassantes de ma vie j'ai toujours aimé à me rendre raison de ce qui se passe dans mon âme, je voulus en cette occasion me faire une idée bien nette du plaisir que peut ressentir un honnête homme lorsqu'il contemple la pantoufle d'une dame, comparé au plaisir que lui fait éprouver la contemplation des étoiles. Pour cet effet, je choisis dans le ciel la constellation la plus apparente. C'était, si je ne me trompe, la chaise de Cassiopée qui se trouvait au-dessus de ma tête, et je regardai tour à tour la constellation et la pantoufle, la pantoufle et la constellation. Je vis alors que ces deux sensations étalent de nature toute différente : l'une était dans ma tête, tandis que l'autre semblait avoir son siège dans la région du cœur. Mais ce que je n'avouerai pas sans un peu de honte, c'est que l'attrait qui me portait vers la pantoufle enchantée absorbait toutes mes facultés. L'enthousiasme que m'avait causé, quelque temps auparavant, l'aspect du ciel étoilé n'existait plus que faiblement, et bientôt il s'anéantit tout à fait lorsque j'entendis la porte du balcon se rouvrir, et que j'aperçus un petit pied, plus blanc que l'albâtre, s'avancer doucement et s'emparer de la petite mule. Je voulus parler, mais n'ayant pas eu le temps de me préparer comme la première fois, je ne trouvai plus ma présence d'esprit ordinaire, et j'entendis la porte du balcon se refermer avant d'avoir imaginé quelque chose de convenable à dire.

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