CHAPITRE XXIV

Après avoir sauvé l'intéressante Virginie, j'échappe modestement à sa reconnaissance ; et, toujours désireux de rendre service aux belles, je profite de l'obscurité d'une nuit pluvieuse, et je vais furtivement ouvrir le tombeau d'une jeune vestale, que le sénat romain a eu la barbarie de faire enterrer vivante pour avoir laissé éteindre le feu sacré de Vesta, ou peut-être bien pour s'y être légèrement brûlée. Je marche en silence dans les rues de Rome avec le charme intérieur qui précède les bonnes actions, surtout lorsqu'elles ne sont pas sans danger. J'évite avec soin le Capitole, de peur d'éveiller les oies, et, me glissant à travers les gardes de la porte Colline, j'arrive heureusement au tombeau sans être aperçu.

Au bruit que je fais en soulevant la pierre qui la couvre, l'infortunée détache sa tête échevelée du sol humide du caveau. Je la vois, à la lueur de la lampe sépulcrale, jeter autour d'elle des regards égarés. Dans son délire, la malheureuse victime croit être déjà sur les rives du Cocyte.

« O Minos ! s'écrie-t-elle, ô juge inexorable ! j'aimais, il est vrai, sur la terre, contre les lois sévères de Vesta. Si les dieux sont aussi barbares que les hommes, ouvre, ouvre pour moi les abîmes du Tartare ! J'aimais et j'aime encore. – Non, non, tu n'es point encore dans le royaume des morts ; viens, jeune infortunée, reparais sur la terre ! renais à la lumière et à l'amour ! »

Cependant, je saisis sa main déjà glacée par le froid de la tombe ; je l'enlève dans mes bras, je la serre contre mon cœur, et je l'arrache enfin de cet horrible lieu, toute palpitante de frayeur et de reconnaissance.

Gardez-vous bien de croire, madame, qu'aucun intérêt personnel soit le mobile de cette bonne action. L'espoir d'intéresser en ma faveur la belle ex-vestale n'entre pour rien dans tout ce que je fais pour elle, car je rentrerais ainsi dans l'ancienne méthode ; je puis assurer, parole de voyageur, qui, tant qu'a duré notre promenade, depuis la porte Colline jusqu'à l'endroit où se trouve maintenant le tombeau des Scipions, malgré l'obscurité profonde, et dans les moments mêmes où sa faiblesse m'obligeait de la soutenir dans mes bras, je n'ai cesser de la traiter avec les égards et le respect dus à ses malheurs, et je l'ai scrupuleusement rendue à son amant, qui l'attendait sur la route.

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