CHAPITRE XL

Quel riche trésor de jouissances la bonne nature a livré aux hommes dont le cœur sait jouir et quelle variété dans ces jouissances ! Qui pourra compter leurs nuances innombrables dans les divers individus et dans les différents âges de la vie ? Le souvenir confus de celles de mon enfance me font encore tressaillir. Essayerai-je de peindre celles qu’éprouve le jeune homme dont le cœur commence à brûler de tous les feux du sentiment ? Dans cet âge heureux où l’on ignore encore jusqu’au nom de l’intérêt, de l’ambition, de la haine et de toutes les passions honteuses qui dégradent et tourmentent l’humanité ; durant cet âge, hélas ! trop court, le soleil brille d’un éclat qu’on ne lui retrouve plus dans le reste de la vie. L’air est plus pur ; – les fontaines sont plus limpides et plus fraîches ; – la nature a des aspects, les bocages ont des sentiers qu’on ne retrouve plus dans l’âge mur. Dieu ! quels parfums envoient les fleurs ! que ces fruits sont délicieux ! de quelles couleurs se pare l’aurore ! – Toutes les femmes sont aimables et fidèles ; tous les hommes sont bons, généreux et sensibles : partout on rencontre la cordialité, la franchise et le désintéressement ; il n’existe dans la nature que des fleurs, des vertus et des plaisirs.

Le trouble de l’amour, l’espoir du bonheur n’inondent-ils pas notre cœur de sensations aussi vives que variées !

Le spectacle de la nature et sa contemplation dans l’ensemble et les détails ouvrent devant la raison une immense carrière de jouissances. Bientôt l’imagination, planant sur cet océan de plaisirs, en augmente le nombre et l’intensité ; les sensations diverses s’unissent et se combinent pour en former de nouvelles ; les rêves de la gloire se mêlent aux palpitations de l’amour ; la bienfaisance marche à côté de l’amour-propre qui lui tend la main ; la mélancolie vient de temps en temps jeter sur nous son crêpe solennel, et changer nos larmes en plaisir. – Enfin, les perceptions de l’esprit, les sensations du cœur, les souvenirs même des sens, sont pour l’homme des sources inépuisables de plaisir et de bonheur. – Qu’on ne s’étonne donc point que le bruit que faisait Joannetti en frappant de la cafetière sur le chenet, et l’aspect imprévu d’une tasse de crème aient fait sur moi une impression si vive et si agréable.

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