CHAPITRE XXXV

Il ne tiendrait qu’à moi de faire un chapitre sur cette rose sèche que voilà, si le sujet en valait la peine : c’est une fleur du carnaval de l’année dernière. J’allai moi-même la cueillir dans les serres du Valentin, et le soir, une heure avant le bal, plein d’espérance et dans une agréable émotion, j’allai la présenter à madame de Hautcastel. Elle la prit, – la posa sur sa toilette sans la regarder, et sans me regarder moi-même.

Mais comment aurait-elle fait attention à moi ? elle était occupée à se regarder elle-même. Debout devant un grand miroir, toute coiffée, elle mettait la dernière main à sa parure : elle était si fort préoccupée, son attention était si totalement absorbée par des rubans, des gazes et des pompons de toute espèce, amoncelés devant elle, que je n’obtins pas même un regard, un signe. Je me résignai : je tenais humblement des épingles toutes prêtes, arrangées dans ma main ; mais, son carreau se trouvait plus à sa portée, elle les prenait à son carreau, – et, si j’avançais la main, elle les prenait de ma main – indifféremment ; – et pour les prendre elle tâtonnait, sans ôter les yeux de son miroir, de crainte de se perdre de vue.

Je tins quelque temps un second miroir derrière elle, pour lui faire mieux juger de sa parure ; et, sa physionomie se répétant d’un miroir à l’autre, je vis alors une perspective de coquettes, dont aucune ne faisait attention à moi, une fort triste figure.

Je finis par perdre patience, et, ne pouvant plus résister au dépit qui me dévorait, je posai le miroir que je tenais à la main, et je sortis d’un air de colère, et sans prendre congé.

« Vous en allez-vous ? » me dit-elle en se tournant de ce côté pour voir sa taille de profil. – Je ne répondis rien ; mais j’écoutai quelque temps à la porte, pour savoir l’effet qu’allait produire ma brusque sortie. « Ne voyez-vous pas, disait-elle à sa femme de chambre, après un instant de silence, ne voyez-vous pas que ce caraco est beaucoup trop large pour ma taille, surtout en bas, et qu’il y faut faire une baste avec des épingles ? »

Comment et pourquoi cette rose sèche se trouve sur une tablette de mon bureau, c’est ce que je ne dirai certainement pas, parce que j’ai déclaré qu’une rose sèche ne mérite pas un chapitre.

Remarquez bien, mesdames, que je ne fais aucune réflexion sur l’aventure de la rose sèche. Je ne dis point que madame de Hautcastel ait bien ou mal fait de me préférer sa parure, ni que j’eusse le droit d’être reçu autrement.

Je me garde encore avec plus de soin d’en tirer des conséquences générales sur la réalité, la force et la durée de l’affection des dames pour leurs amis. – Je me contente de jeter ce chapitre (puisque c’en est un), de le jeter, dis-je, dans le monde, avec le reste du voyage, sans l’adresser à personne, et sans le recommander à personne.

Je n’ajouterai qu’un conseil pour vous, messieurs : c’est de vous mettre bien dans l’esprit qu’un jour de bal votre maîtresse n’est plus à vous.

Au moment où la parure commence, l’amant n’est plus qu’un mari, et le bal seul devient l’amant.

Tout le monde sait de reste ce que gagne un mari à vouloir se faire aimer par force ; prenez donc votre mal en patience et en riant.

Et ne vous faites pas illusion, monsieur : si l’on vous voit avec plaisir au bal, ce n’est point en votre qualité d’amant, car vous êtes un mari ; c’est parce que vous faites partie du bal, et que vous êtes, par conséquent, une fraction de sa nouvelle conquête ; vous êtes une décimale d’amant ; ou bien, peut-être, c’est parce que voue dansez bien, et que vous la ferez briller ; enfin, ce qu’il peut y avoir de plus flatteur pour vous dans le bon accueil qu’elle vous fait, c’est qu’elle espère qu’en déclarant pour son amant un homme de mérite comme vous, elle excitera la jalousie de ses compagnes : sans cette considération, elle ne vous regarderait seulement pas.

Voila donc qui est entendu ; il faudra vous résigner et attendre que votre rôle de mari soit passé. – J’en connais plus d’un qui voudraient en être quittes a si bon marché.

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