La « monnaie de renommée  »

Mais ce sont surtout les cuivres  blasonnés qui, biens fondamentaux du potlatch, sont l'objet de croyances impor­tantes et même d'un culte . D'abord, dans toutes ces tribus, il y a un culte et un mythe du cuivre  être vivant. Le cuivre, au moins chez les Haïda et les Kwakiutl, est identifié au saumon, lui-même objet d'un culte . Mais en plus de cet élément de mythologie métaphysique et technique , tous ces cuivres sont, chacun à part, l'objet de croyances individuelles et spéciales. Chaque cuivre principal des familles de chefs de clans a son nom , son individualité propre, sa valeur propre , au plein sens du mot, magique et économique, permanente, perpétuelle sous les vicissitudes des potlatch où ils passent et même par-delà les destructions partielles ou complètes .

Ils ont en outre une vertu attractive qui appelle les autres cuivres, comme la richesse attire la richesse, comme les dignités entraînent les honneurs, la possession des esprits et les belles alliances , et inversement. - Ils vivent et ils ont un mouvement autonome  et ils entraînent  les autres cuivres. L'un d'eux , chez les Kwakiutl, est appelé « l'entraîneur de cuivres », et la formule dépeint comment les cuivres s'amassent autour de lui en même temps que le nom de son propriétaire est « propriété s'écoulant vers moi ». Un autre nom fréquent des cuivres est celui « d'apporteur de proprié­tés ». Chez les Haïda, les Tlingit, les cuivres sont un « fort » autour de la princesse qui les apporte  ; ailleurs le chef qui les possède  est rendu invincible. Ils sont les « choses plates divines »  de la maison. Souvent le mythe les iden­tifie tous, les esprits donateurs des cuivres , les propriétaires des cuivres et les cuivres eux-mêmes . Il est impossible de discerner ce qui fait la force de l'un de l'esprit et de la richesse de l'autre : le cuivre parle, grogne  ; il demande à être donné, détruit, c'est lui qu'on couvre de couvertures pour le mettre au chaud, de même qu'on enterre le chef sous les cou­ver­tures qu'il doit distribuer .

Mais d'un autre côté, c'est, en même temps que les biens , la richesse et la chance qu'on transmet. C'est son esprit, ce sont ses esprits auxiliaires qui rendent l'initié possesseur de cuivres, de talismans qui sont eux-mêmes moyens d'acquérir : cuivres, richesses, rang, et enfin esprits, toutes choses équivalentes d'ailleurs. Au fond, quand on considère en même temps les cuivres et les autres formes permanentes de richesses qui sont également objet de thésaurisation et de potlatch alternés, masques, talismans, etc., toutes sont confondues avec leur usage et avec leur effet . Par elles, on obtient les rangs c'est parce qu'on obtient la richesse qu'on obtient l'esprit et celui-ci à son tour possède le héros vainqueur des obstacles et alors encore, ce héros se fait payer ses transes shamanistiques, ses danses rituelles, les services de son gouvernement. Tout se tient, se confond ; les choses ont une personnalité et les personnalités sont en quelque sorte des choses permanentes du clan. Titres, talismans, cuivres et esprits des chefs sont homonymes et synonymes , de même nature et de même fonc­tion. La circulation des biens suit celle des hommes, des femmes et des enfants, des festins, des rites, des cérémonies et des danses, même celle des plaisanteries et des injures. Au fond elle est la même. Si on donne les choses et les rend, c'est parce qu'on se donne et se rend « des respects » -nous disons encore « des politesses ». Mais aussi c'est qu'on se donne en donnant, et, si on se donne, c'est qu'on se « doit » - soi et son bien - aux autres.

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