Chapitre VII

Situation politique et militaire de la France. – L’Angleterre, la Hollande, l’Espagne, Naples, et tous les cercles de l’Empire, accèdent à la coalition. – Dumouriez, après avoir conquis la Belgique, tente une expédition en Hollande. – Il veut rétablir la monarchie constitutionnelle. – Revers de nos armées. – Lutte des Montagnards et des Girondins ; conspiration du 10 mars. – Insurrection de la Vendée, ses progrès. – Défection de Dumouriez. – Les Girondins accusés de complicité avec lui ; nouvelles conjurations contre eux. – Établissement de la commission des Douze pour déjouer les conspirateurs. – Insurrections des 27 et 31 mai contre la commission des Douze ; elle est supprimée. – Insurrection du 2 juin contre les vingt-deux principaux Girondins ; ils sont mis en arrestation. – Défaite entière de ce parti.

La mort de Louis XVI rendit les partis irréconciliables, et augmenta les ennemis extérieurs de la révolution. Les républicains eurent à lutter contre toute l’Europe, contre les nombreuses classes de mécontents, et contre eux-mêmes. Mais les Montagnards qui conduisaient alors le mouvement populaire, se croyaient trop engagés pour ne pas pousser les choses à l’extrême. Effrayer les ennemis de la révolution ; exciter le fanatisme du peuple par des discours, par la présence des dangers, par des insurrections ; rapporter tout à lui, et le gouvernement et le salut de la république ; lui communiquer le plus ardent enthousiasme, au nom de la liberté, de l’égalité, et de la fraternité ; le maintenir dans ce violent état de crise pour se servir de ses passions et de sa force : tel fut le plan de Danton et des Montagnards, qui l’avaient pris pour chef. Ce fut lui qui augmenta l’effervescence populaire avec les périls croissants de la république, et qui fit établir sous le nom de gouvernement révolutionnaire, au lieu de la liberté légale, le despotisme de la multitude. Robespierre et Marat allaient encore beaucoup plus loin que lui, et ils voulaient ériger en gouvernement durable ce que Danton ne considérait que comme transitoire. Celui-ci n’était qu’un chef politique, tandis que les autres étaient de véritables sectaires, le premier plus ambitieux, le second plus fanatique.

Les Montagnards, par la catastrophe du 21 janvier, avaient remporté une grande victoire sur les Girondins, qui avaient une politique beaucoup plus morale que la leur, et qui aspiraient à sauver la révolution, sans l’ensanglanter. Mais leur humanité, leur esprit de justice, ne leur servirent de rien, et tournèrent contre eux. On les accusa d’être ennemis du peuple, parce qu’ils tonnèrent contre ses excès ; d’être complices du tyran, parce qu’ils avaient voulu sauver Louis XVI ; et de trahir la république, parce qu’ils recommandaient la modération. Ce fut avec ces reproches que les Montagnards, depuis le 21 janvier jusqu’au 31 mai et au 2 juin, les poursuivirent avec la plus constante animosité dans le sein de la convention. Les Girondins furent long-temps soutenus par le centre, qui se rangeait avec la droite contre les meurtres et l’anarchie, avec la gauche pour les mesures de salut public. Cette masse, qui formait, à proprement parler, l’esprit de la convention, montra quelque courage, et balança la puissance de la Montagne et de la commune, tant qu’elle eut au milieu d’elle ces Girondins intrépides et éloquents qui emportèrent dans leur prison et sur l’échafaud toute la fermeté et toutes les résolutions généreuses de l’assemblée.

Il y eut un moment d’accord entre les divers partis de l’assemblée. Lepelletier Saint-Fargeau fut poignardé par un ancien garde-du-corps nommé Pâris, comme ayant voté la mort de Louis XVI. Les conventionnels, réunis par le danger commun, jurèrent sur sa tombe d’oublier leurs inimitiés, mais ils y revinrent bientôt. On poursuivait à Meaux quelques-uns des meurtriers de septembre, dont les républicains honorables voulaient le châtiment. Les Montagnards, craignant qu’on n’examinât leur conduite passée, et que leurs adversaires ne prissent avantage d’une condamnation pour les attaquer plus ouvertement eux-mêmes, parvinrent à faire cesser les poursuites. Cette impunité enhardit encore les chefs de la multitude ; et Marat, qui avait, à cette époque, une incroyable influence sur elle, l’excita au pillage des marchands, qu’il accusait d’accaparer les subsistances. Il s’élevait violemment dans ses feuilles, et aux Jacobins, contre l’aristocratie des bourgeois, des commerçants et des hommes d’état (c’est ainsi qu’il appelait les Girondins), c’est-à-dire contre tous ceux qui, dans la nation ou dans l’assemblée, s’opposaient encore au règne des Sans-culottes et des Montagnards. Il y avait quelque chose d’effrayant dans le fanatisme et l’invincible obstination de ces sectaires. Le nom donné par eux aux Girondins depuis le commencement de la convention, était celui d’intrigants, à cause des moyens ministériels, et un peu sourds, avec lesquels ils combattaient dans les départements la conduite audacieuse et publique des Jacobins.

Aussi les dénonçaient-ils régulièrement dans le club. « À Rome, un orateur disait tous les jours : Il faut détruire Carthage. Eh bien ! qu’un Jacobin monte tous les jours à cette tribune pour dire ces seuls mots : Il faut détruire les intrigants. Eh ! qui pourrait nous résister ? nous combattons le crime et le pouvoir éphémère des richesses ; mais nous avons pour nous la vérité, la justice, la pauvreté, la vertu… Avec de telles armes bientôt les Jacobins diront : « Nous n’avons fait que passer, ils n’étaient déjà plus. » Marat, qui avait beaucoup plus d’audace que Robespierre dont la haine et les projets se cachaient encore sous certaines formes, était le patron de tous les dénonciateurs et de tous les anarchistes. Beaucoup de Montagnards l’accusaient de compromettre leur cause par la fougue de ses conseils, et par des excès intempestifs ; mais le peuple jacobin entier le soutenait même contre Robespierre, qui, dans ses dissidences avec lui, obtenait rarement l’avantage. Le pillage, recommandé en février dans L’Ami du peuple à l’égard de quelques marchands, pour servir d’exemple, eut lieu, et Marat fut dénoncé à la convention, qui le décréta d’accusation après une séance très-orageuse. Mais ce décret n’eut pas de suite, parce que les tribunaux ordinaires n’avaient aucune autorité. Ce double essai de force d’une part, et de faiblesse de l’autre, se fit dans le courant du mois de février. Bientôt des événements plus décisifs encore conduisirent les Girondins à leur perte.

La situation militaire de la France avait été jusque-là rassurante. Dumouriez venait de couronner la brillante campagne de l’Argonne par la conquête de la Belgique. Après la retraite des Prussiens, il s’était rendu à Paris pour y concerter l’invasion des Pays-Bas autrichiens. De retour à l’armée le 20 octobre 1792, il avait commencé l’attaque le 28. Le plan essayé avec si peu d’à-propos, de forces et de succès au commencement de la guerre, fut repris et exécuté avec des moyens supérieurs. Dumouriez, à la tête de l’armée de la Belgique, forte de quarante mille hommes, marcha de Valenciennes sur Mons, appuyé à sa droite par l’armée des Ardennes, d’environ seize mille hommes, sous le général Valence, qui se dirigea de Givet sur Namur ; et à sa gauche par l’armée du Nord, forte de dix-huit mille hommes, sous le général Labourdonnaie, qui s’avança de Lille sur Tournai. L’armée autrichienne, postée en avant de Mons, attendit la bataille dans ses retranchements. Dumouriez la défit complètement ; et la victoire de Jemmapes ouvrit la Belgique aux Français, et recommença en Europe l’ascendant de nos armes. Vainqueur le 6 novembre, Dumouriez entra le 7 dans Mons, le 14 à Bruxelles, le 28 à Liège ; Valence prit Namur, Labourdonnaie s’empara d’Anvers, et au milieu de décembre l’invasion des Pays-Bas fut entièrement achevée. L’armée française, maîtresse de la Meuse et de l’Escaut, prit ses quartiers d’hiver, après avoir jeté derrière la Roër les Autrichiens qu’elle aurait pu jeter derrière le bas Rhin.

Dès ce moment commencèrent les hostilités de Dumouriez avec les Jacobins. Un décret de la convention, du 15 décembre, abrogeait les usages belges, et organisait ce pays démocratiquement. Les Jacobins envoyèrent de leur côté des agents en Belgique pour y propager la révolution, pour y établir des clubs sur le modèle de la société-mère ; et les Flamands, qui nous avaient reçus avec enthousiasme, furent refroidis par les réquisitions dont on les frappa, par le pillage général et l’anarchie insupportable que les Jacobins amenèrent avec eux. Tout le parti qui avait combattu la domination autrichienne, et qui espérait, être libre sous le protectorat de la France, trouva notre domination plus dure, et regretta de nous avoir appelés ou soutenus. Dumouriez, qui avait des projets d’indépendance pour les Flamands, et d’ambition pour lui-même, vint à Paris se plaindre de cette conduite impolitique à l’égard des pays conquis. Il changea sa marche jusque-là équivoque. Il n’avait rien oublié pour se ménager entre les deux factions ; il ne s’était rangé sous la bannière d’aucune, espérant se servir de la droite par son ami Gensonné, de la Montagne par Danton et Lacroix, et d’en imposer à l’une et à l’autre par ses victoires. Mais dans ce second voyage il essaya d’arrêter les Jacobins et de sauver Louis XVI : n’ayant pas pu en venir à bout, il se rendit à l’armée pour commencer la seconde campagne, très-mécontent et décidé à faire servir de nouvelles victoires à suspendre la révolution et à changer son gouvernement.

Toutes les frontières de la France devaient être attaquées cette fois par les puissances de l’Europe. Les succès militaires de la révolution et la catastrophe du 21 janvier avaient fait entrer dans la coalition la plupart des gouvernements encore indécis ou neutres. L’Angleterre, disposée depuis long-temps à une rupture, saisit cette occasion de paraître sur le théâtre des hostilités. La tour de Londres était armée, une flotte à Spithead était prête à mettre à la voile, le ministère avait obtenu quatre-vingts millions extraordinaires, et Pitt allait profiter de notre révolution pour assurer la prépondérance de la Grande-Bretagne, comme Richelieu et Mazarin avaient profité de la crise de l’Angleterre, en 1640, pour établir la domination française en Europe. Le cabinet de Saint-James n’était dirigé que par des motifs d’intérêt anglais : la consolidation de son pouvoir dans son propre pays, l’empire exclusif dans l’Inde et sur les mers ; l’achèvement de la révolution coloniale commencée contre lui, et qu’il importait de rendre commune aux autres puissances maritimes, afin de servir d’intermédiaires entre les deux mondes, devenus indépendants l’un de l’autre ; tels étaient les résultats qu’il espérait de ce grand choc continental.

En apprenant la mort de Louis XVI, le cabinet de Saint-James renvoya le ministre Chauvelin, et entraîna dans sa rupture la Hollande, qui, depuis 1788, était entièrement subordonnée à l’Angleterre. Il fit en même temps un appel à la seconde levée de la coalition. L’Espagne venait d’éprouver un changement ministériel : le fameux Godoï, duc d’Alcudia, et depuis prince de la Paix, avait été placé à la tête du gouvernement par une intrigue de l’Angleterre et de l’émigration. Cette puissance rompit avec la république, après avoir vainement intercédé pour Louis XVI, et mis sa neutralité au prix de la vie du roi. La confédération germanique adhéra tout entière à la guerre : la Bavière, la Souabe et l’électeur Palatin se joignirent aux cercles belligérants de l’Empire. Naples suivit l’exemple du Saint-Siège, qui s’était déjà déclaré ; et il ne resta plus d’états neutres que la Suisse, la Suède, le Danemarck et la Turquie. La Russie était encore occupée du second partage de la Pologne.

La république eut ses flancs menacés par les troupes les plus aguerries de l’Europe. Il lui fallut bientôt combattre quarante-cinq mille Austro-Sardes, aux Alpes ; cinquante mille Espagnols, aux Pyrénées ; soixante-dix mille Autrichiens ou Impériaux, renforcés de trente-huit mille Anglo-Bataves, sur le bas Rhin et en Belgique ; trente-trois mille quatre cents Autrichiens, entre Meuse et Moselle ; cent douze mille six cents Prussiens, Autrichiens et Impériaux, sur le moyen et haut Rhin. Pour faire face à tant d’ennemis, la convention décréta une levée de trois cent mille hommes. Cette mesure de défense extérieure fut accompagnée d’une mesure de parti pour l’intérieur. Au moment où les bataillons nouveaux quittèrent Paris, et se présentèrent à l’assemblée, la Montagne demanda l’établissement d’un tribunal extraordinaire pour soutenir au-dedans la révolution, que des bataillons allaient défendre sur les frontières. Ce tribunal, composé de neuf membres, devait juger sans jury et sans appel. Les Girondins s’élevèrent de toute leur force contre une institution aussi arbitraire et aussi redoutable, mais ce fut en vain ; car ils paraissaient favoriser les ennemis de la république, en repoussant un tribunal destiné à les punir. Tout ce qu’ils obtinrent, ce fut d’y introduire les jurés, d’en éloigner les hommes violents, et d’annuler son action, tant qu’ils conservèrent quelque influence.

Les principaux efforts des coalisés furent dirigés contre la vaste frontière depuis la mer du Nord jusqu’à Huningue. Le prince de Cobourg dut attaquer, à la tête des Autrichiens, l’armée française sur la Roër et sur la Meuse, pénétrer en Belgique, tandis que, sur l’autre point, les Prussiens marcheraient contre Custine, lui livreraient bataille, cerneraient Mayence, et renouvelleraient l’invasion précédente, après s’en être emparé. Ces deux armées d’opération étaient soutenues, dans les positions intermédiaires, par des forces considérables. Dumouriez, préoccupé de desseins ambitieux et réactionnaires, dans un moment où il ne fallait songer qu’aux périls de la France, se proposa de rétablir la royauté de 1791, malgré la convention et malgré l’Europe. Ce que Bouillé n’avait pas pu faire pour le trône absolu, ni La Fayette pour le trône constitutionnel, dans un temps beaucoup plus propice, Dumouriez espéra l’exécuter tout seul pour une constitution détruite et pour une royauté sans parti. Au lieu de rester neutre entre les factions, comme les circonstances en faisaient une loi à un général, et même à un ambitieux, Dumouriez préféra rompre avec elles, pour les dominer. Il imagina de se former un parti hors de la France ; de pénétrer en Hollande au moyen des républicains bataves, opposés au stathoudérat et à l’influence anglaise ; de délivrer la Belgique des Jacobins, de réunir ces deux pays en un seul état indépendant, et de se donner leur protectorat politique, après avoir acquis toute la gloire d’un conquérant. Il devait alors intimider les partis, gagner ses troupes, marcher sur la capitale, dissoudre la convention, fermer les sociétés populaires, rétablir la constitution de 1791, et donner un roi à la France.

Ce projet, inexécutable au milieu du grand choc de la révolution et de l’Europe, parut facile au bouillant et aventureux Dumouriez. Au lieu de défendre la ligne menacée, depuis Mayence jusque sur la Roër, il se jeta sur la gauche des opérations, et entra en Hollande à la tête de vingt mille hommes. Il devait, par une marche rapide, se transporter au centre des Provinces-Unies, prendre les forteresses à revers, et être rejoint à Nimègue, par vingt-cinq mille hommes, sous le général Miranda, qui se serait préalablement rendu maître de Maëstricht. Une armée de quarante mille hommes devait observer les Autrichiens et protéger sa droite.

Dumouriez poussa avec vigueur son expédition de Hollande ; il prit Breda et Gertruydenberg, et se disposa à passer le Biesbos et à s’emparer de Dorft. Mais, pendant ce temps, l’armée de droite éprouva les revers les plus alarmants sur la basse Meuse. Les Autrichiens prirent l’offensive, passèrent la Roër, battirent Miazinski à Aix-la-Chapelle ; firent lever à Miranda le blocus de Maëstricht, qu’il avait inutilement bombardé ; franchirent la Meuse, et mirent en pleine déroute, à Liège, notre armée, qui s’était repliée entre Tirlemont et Louvain. Dumouriez reçut du conseil exécutif l’ordre de quitter la Hollande en toute hâte, et de venir prendre le commandement des troupes de la Belgique ; il fut obligé d’obéir et de renoncer à une partie de ses plus folles, mais de ses plus chères espérances.

Les Jacobins, à la nouvelle de tous ces revers, étaient devenus beaucoup plus intraitables. Ne concevant pas de défaite sans trahison, surtout après les victoires brillantes et inattendues de la dernière campagne, ils attribuaient des désastres militaires à des combinaisons de parti. Ils dénoncèrent les Girondins, les ministres et les généraux, qu’ils supposaient d’accord pour livrer la république, et ils conjurèrent leur perte. La rivalité se mêlait aux soupçons, et ils désiraient autant conquérir une domination exclusive, que défendre le territoire menacé ; ils commencèrent par les Girondins. Comme ils n’avaient pas encore accoutumé la multitude à l’idée de proscrire les représentants, ils eurent d’abord recours à un complot pour s’en défaire ; ils résolurent de les frapper dans la convention, où on les trouverait tous réunis ; et ils fixèrent la nuit du 10 mars pour l’exécution du complot. L’assemblée s’était mise en permanence, à cause des dangers de la chose publique. La veille, on décida, aux Jacobins et aux Cordeliers, de fermer les barrières, de sonner le tocsin, et de marcher en deux bandes sur la convention et chez les ministres. À l’heure convenue, on partit ; mais plusieurs circonstances empêchèrent les conjurés de réussir. Les Girondins, avertis, ne se rendirent point à la séance de nuit ; les sections se montrèrent opposées au complot, et le ministre de la guerre, Beurnonville, marcha contre eux à la tête d’un bataillon de fédérés brestois : tous ces obstacles imprévus et la pluie, qui ne cessa pas de tomber, dispersèrent les conjurés. Le lendemain, Vergniaud dénonça le comité d’insurrection qui avait projeté ces meurtres, demanda que le conseil exécutif fût chargé de prendre des renseignements sur la conjuration du 10 mars, d’examiner les registres des clubs, et d’arrêter les membres du comité insurrecteur. « Nous, marchons, s’écria-t-il, de crimes en amnisties et d’amnisties en crimes. Un grand nombre de citoyens en est venu au point de confondre les insurrections séditieuses avec la grande insurrection de la liberté, de regarder la provocation des brigands comme les explosions d’âmes énergiques, et le brigandage même comme une mesure de sûreté générale. On a vu se développer cet étrange système de liberté d’après lequel on vous dit : « Vous êtes libres, mais pensez comme nous, ou nous vous dénonçons aux vengeances du peuple ; vous êtes libres, mais courbez la tête devant l’idole que nous encensons, ou nous vous dénonçons aux vengeances du peuple ; vous êtes libres, mais associez-vous à nous pour persécuter les hommes dont nous redoutons la probité et les lumières, ou nous vous dénoncerons aux vengeances du peuple ! Citoyens, il est à craindre que la révolution, comme Saturne, ne dévore successivement tous ses enfants, et n’engendre enfin le despotisme avec les calamités qui l’accompagnent. » Ces prophétiques paroles produisirent quelque effet dans l’assemblée ; mais les mesures proposées par Vergniaud n’aboutirent à rien.

Les Jacobins furent arrêtés un moment par le mauvais succès de leur première entreprise contre leurs adversaires ; mais l’insurrection de la Vendée vint leur redonner de l’audace. La guerre de la Vendée était un événement inévitable dans la révolution. Ce pays, adossé à la mer et à la Loire, coupé de peu de routes, semé de villages, de hameaux et de châtellenies, s’était maintenu dans son ancien état féodal. Dans la Vendée il n’y avait pas de lumières ni de civilisation, parce qu’il n’y avait pas de classe moyenne ; et il n’y avait pas de classe moyenne, parce qu’il n’y avait pas ou qu’il y avait peu de villes. La classe des paysans n’avait dès-lors pas acquis d’autres idées que celles qui lui étaient communiquées par les prêtres, et n’avait pas séparé ses intérêts de ceux de la noblesse. Ces hommes simples, robustes et dévoués à l’ancien ordre de choses, ne comprenaient rien à une révolution, qui était le résultat de croyances et de besoins entièrement étrangers à leur situation. Les nobles et les prêtres, se trouvant en force dans ce pays, n’avaient point émigré ; et c’était là vraiment qu’existait le parti de l’ancien régime, parce que là se trouvaient ses doctrines et sa société. Il fallait, tôt ou tard, que la France et la Vendée, pays si différents, et qui n’avaient de commun que la langue, entrassent en guerre ; il fallait que les deux fanatismes de la monarchie et de la souveraineté populaire, du sacerdoce et de la raison humaine, levassent leurs bannières l’un contre l’autre, amenassent le triomphe de l’ancienne ou de la nouvelle civilisation.

Des troubles partiels avaient eu lieu, à plusieurs reprises, dans la Vendée. En 1792, le comte de la Rouairie avait préparé un soulèvement général, qui n’avait pas réussi, à cause de sa propre arrestation ; mais tout était encore disposé pour une insurrection, lorsqu’on exécuta le recrutement des trois cent mille hommes : cette levée en devint le signal. Les réquisitionnaires battirent la gendarmerie à Saint-Florens, et prirent d’abord pour chefs, sur divers points, le voiturier Cathelinau, l’officier de marine Charrette et le garde-chasse Stofflet. En peu de temps l’insurrection gagna tout le pays ; neuf cents communes se soulevèrent au son du tocsin, et alors les chefs nobles Bonchamps, Lescure, La Rochejacquelin, d’Elbée, Talmont, se joignirent aux autres. Les troupes de ligne et les bataillons de garde nationale qui marchèrent contre les insurgés, furent battus. Le général Marcé fut culbuté à Saint-Vincent, par Stofflet ; le général Gauvilliers, à Beaupréau, par d’Elbée et Bonchamps ; le général Quetineau, aux Aubiers, par La Rochejacquelin ; et le général Ligonnier, à Cholet. Les Vendéens, devenus maîtres de Châtillon, de Bressuire, de Vihiers, songèrent, avant de pousser leurs avantages plus loin, à se donner une sorte d’organisation. Ils formèrent trois corps de dix à douze mille hommes chacun, d’après la distribution du territoire vendéen en trois commandements : le premier, sous Bonchamps, tint les bords de la Loire, et reçut le nom d’armée d’Anjou ; le second, placé au centre, forma la grande armée, sous d’Elbée ; le troisième, dans la Basse-Vendée, devintl’armée du Marais, sous Charette. Les insurgés établirent un conseil pour décider des opérations, et élurent Cathelineau généralissime. Ces arrangements et cette distribution du pays permirent d’enrégimenter les insurgés, et de les renvoyer à leurs champs, ou de les rappeler sous les drapeaux.

L’annonce de ce soulèvement formidable fit prendre à la convention des mesures encore plus rigoureuses contre les prêtres et les émigrés. Elle mit hors la loi les prêtres et les nobles qui participeraient à un attroupement ; elle désarma tous ceux qui avaient appartenu à la classe privilégiée. Les anciens émigrés furent bannis pour toujours ; ils ne purent pas rentrer, sous peine de mort : leurs biens furent confisqués. Sur chaque porte de maison dut se trouver le nom de tous ceux qui l’habitaient ; et le tribunal révolutionnaire, qui avait été ajourné, commença ses redoutables fonctions.

On apprit en même temps, et coup sur coup, de nouveaux désastres militaires. Dumouriez, de retour à l’armée de la Belgique, concentra ses forces pour résister au général autrichien, prince de Cobourg. Ses troupes étaient découragées, et manquaient de tout ; il écrivit à la convention une lettre menaçante contre les Jacobins, qui le dénoncèrent. Après avoir redonné à son armée une partie de son ancienne confiance, par quelques avantages de détails, il hasarda une action générale à Nervinde ; il perdit la bataille. La Belgique fut évacuée ; et Dumouriez, placé entre les Autrichiens et les Jacobins, battu par les uns, poursuivi par les autres, recourut au coupable moyen d’une défection pour réaliser ses anciens projets. Il eut des conférences avec le colonel Mack, et il convint avec les Autrichiens de marcher sur Paris pour rétablir la monarchie, tandis qu’il les laisserait sur la frontière, en leur livrant plusieurs places fortes comme garantie. Il est probable que Dumouriez voulait mettre sur le trône constitutionnel le jeune duc de Chartres, qui s’était illustré pendant toute cette campagne ; tandis que le prince de Cobourg espérait que, si la contre-révolution parvenait à ce point, elle serait poussée plus loin, et rétablirait le fils de Louis XVI et l’ancienne monarchie. Une contre-révolution ne s’arrête pas plus qu’une révolution ; dès quelle est commencée, il faut qu’elle s’épuise. Les Jacobins furent bientôt instruits des dispositions de Dumouriez ; il les cachait avec assez peu de soin, soit qu’il voulût tenter ses troupes, soit qu’il voulût effrayer ses ennemis, soit qu’il s’abandonnât à la légèreté de son naturel. Pour s’en assurer davantage encore, le club des jacobins envoya en députation auprès de lui trois des siens, nommés Proly, Péreira etDubuisson. Admis en présence de Dumouriez, ils obtinrent de lui plus d’aveux qu’ils n’en attendaient. « La convention, dit-il, est une assemblée de sept cent trente-cinq tyrans. Tant que j’aurai quatre pouces de fer, je ne souffrirai pas qu’elle règne et qu’elle verse le sang, avec le tribunal révolutionnaire qu’elle vient de créer. Quant à la république, ajouta-t-il, c’est un vain mot ; j’y ai cru trois jours : depuis Jemmapes, j’ai regretté tous les succès que j’ai obtenus pour une aussi mauvaise cause. Il n’y a qu’un moyen de sauver la patrie, c’est de rétablir la constitution de 1791 et un roi. – Y songez-vous, général ? lui dit Dubuisson : les Français ont en horreur la royauté et le seul nom de Louis. – Eh qu’importe que ce roi s’appelle Louis, Jacques ou Philippe ? – Et vos moyens, quels sont-ils ? – Mon armée… oui, mon armée ; elle le fera, et de mon camp, ou du sein d’une place forte, elle dira qu’elle veut un roi. – Mais votre projet compromet le sort des prisonniers du Temple. – Le dernier des Bourbons serait tué, même ceux de Coblentz, que la France n’en aurait pas moins un roi ; et si Paris ajoutait ce meurtre à ceux dont il s’est déjà déshonoré, je marcherais à l’instant sur Paris. » Après s’être déclaré avec aussi peu de précaution, Dumouriez se livra à l’exécution de son impraticable dessein. Il se trouvait dans une position véritablement difficile : ses soldats avaient pour lui beaucoup d’attachement, mais ils étaient aussi dévoués à leur patrie. Il fallait donner des places fortes dont il n’était pas le maître, et il était à croire que les généraux sous ses ordres feraient à son égard, par fidélité à la république, ou par ambition, ce qu’il avait fait lui-même à l’égard de La Fayette. Sa première tentative ne fut pas encourageante. Après s’être établi à Saint-Amand, il voulut s’emparer de Lille, de Condé, de Valenciennes ; mais il échoua dans cette entreprise. Ce mauvais succès lui donna de l’hésitation, et ne lui permit point de prendre l’initiative de l’attaque.

Il ne fut pas de même de la convention ; elle agit avec une promptitude, une hardiesse, une fermeté, et surtout avec une précision, dans son but, qui devait la rendre victorieuse. Quand on sait ce qu’on veut, et qu’on le veut vite et bien, on l’emporte toujours ; c’est ce qui manquait à Dumouriez, ce qui arrêta son audace, et ébranla ses partisans. Dès que la convention fut instruite de ses projets, elle le manda à sa barre ; il refusa d’obéir, sans lever encore l’étendard de la révolte. La convention envoya aussitôt les quatre représentants Camus, Quinette, Lamarque, Bancal et le ministre de la guerre, Beurnonville, pour le traduire devant elle, ou l’arrêter au milieu de son armée. Dumouriez reçut les commissaires à la tête de son état-major ; ils lui présentèrent le décret de la convention ; il le lut, et le leur rendit, en disant que l’état de son armée ne lui permettait point de la quitter. Il offrit sa démission, et promit, dans un temps calme, de demander lui-même des juges, et de rendre compte de ses desseins et de sa conduite. Les commissaires l’engagèrent à se soumettre, en lui citant l’exemple des anciens généraux romains. « Nous nous méprenons toujours sur nos citations, répondit-il, et nous défigurons l’histoire romaine, en donnant pour excuse à nos crimes l’exemple de leurs vertus. Les Romains nont pas tué Tarquin, les Romains avaient une république réglée et de bonnes lois ; ils n’avaient ni club des Jacobins, ni tribunal révolutionnaire. Nous sommes dans un temps d’anarchie ; des tigres veulent ma tête, et je ne veux pas la leur donner. – Citoyen général, dit alors Camus, voulez-vous obéir au décret de la convention nationale, et vous rendre à Paris ? – Pas dans ce moment. – Eh bien ! je vous déclare que je vous suspends de vos fonctions ; vous n’êtes plus général, et j’ordonne qu’on s’empare de vous. – Ceci est trop fort ! » dit Dumouriez, et il fit arrêter par des hussards allemands les commissaires, qu’il livra aux Autrichiens comme otages. Après cet acte de révolte, il n’y avait plus à hésiter. Dumouriez fit une nouvelle tentative sur Condé, mais elle ne réussit pas mieux que la première ; il voulut entraîner l’armée dans sa défection, mais elle l’abandonna. Les soldats devaient préférer long-temps encore la république à leur général : l’attachement à la révolution était dans toute sa ferveur, et la puissance civile dans toute sa force. Dumouriez éprouva, en se déclarant contre la convention, le sort qu’avait éprouvé La Fayette en se déclarant contre l’assemblée législative, et Bouillé en se déclarant contre l’assemblée constituante. À cette époque, un général eût-il réuni la fermeté de Bouillé au patriotisme et à la popularité de la Fayette, aux victoires et aux «ressources de Dumouriez, il eût échoué comme eux. La révolution, avec le mouvement qui lui était imprimé, devait être plus forte que les partis, que les généraux et que l’Europe. Dumouriez passa dans le camp autrichien avec le duc de Chartres, le colonel Thouvenot et deux escadrons de Berchiny ; le reste de son armée vint dans le camp de Famars, se réunir aux troupes commandées par Dampierre.

La convention, en apprenant l’arrestation des commissaires, s’établit en permanence, déclara Dumouriez traître à la patrie, autorisa tout citoyen à lui courir sus, mit sa tête à prix, décréta le fameux comité de salut public, et bannit de la république le duc d’Orléans et tous les Bourbons. Quoique les Girondins eussent, dans cette circonstance, attaqué Dumouriez aussi vivement que les Montagnards, on les accusa d’être complices de sa défection, et ce fut un nouveau grief ajouté à tous les autres. Leurs ennemis devenaient de jour en jour plus puissants, et c’était dans les moments de dangers publics qu’ils étaient surtout redoutables. Jusque-là, dans la longue lutte qui s’était établie entre les deux partis, ils l’avaient emporté sur tous les points ; ils avaient arrêté les poursuites contre les massacres de septembre ; ils avaient fait maintenir les usurpations de la commune ; ils avaient obtenu d’abord le jugement, puis la mort de Louis XVI ; par leurs menées, les pillages de février et la conspiration du 10 mars étaient demeurés impunis ; ils avaient fait décréter le tribunal révolutionnaire, malgré les Girondins ; à force de dégoûts, ils avaient chassé Roland du ministère ; ils venaient de triompher de Dumouriez. Il ne leur restait plus qu’à enlever aux Girondins leur dernier asile, l’assemblée ; c’est ce qu’ils commencèrent le 10 avril, et ce qu’ils achevèrent le 2 juin.

Robespierre poursuivit nominativement Brissot, Guadet, Vergniaud, Pétion, Gensonné, dans la convention ; Marat les dénonça dans les sociétés populaires. Il écrivit en qualité de président des Jacobins une adresse aux départements, dans laquelle il invoquait le tonnerre des pétitions et des accusations contre les traîtres et les délégués infidèles qui avaient voulu sauver le tyran en votant l’appel au peuple ou la réclusion. La droite et la Plaine de la convention sentirent qu’il fallait se réunir. Marat fut envoyé devant le tribunal révolutionnaire. Cette nouvelle mit en rumeur les clubs, la multitude et la commune. En représailles, le maire Pache vint, au nom de trente-cinq sections et du conseil général, demander l’expulsion des principaux Girondins. Le jeune Boyer-Fonfrède demanda d’être compris dans la proscription de ses collègues, et les membres de la droite et de la Plaine se levèrent, en criant : Tous ! tous ! Cette pétition, quoique déclarée calomnieuse, fut une première attaque du dehors contre la convention, et elle prépara les esprits à la ruine de la Gironde.

L’accusation de Marat fut loin d’intimider les Jacobins, qui l’accompagnèrent au tribunal révolutionnaire. Marat fut acquitté et porté en triomphe dans l’assemblée. Depuis ce moment les avenues de la salle furent occupées par d’audacieux sans-culottes, et les tribunes des Jacobins envahirent celles de la convention. Les clubistes et les tricoteuses de Robespierre interrompirent sans cesse les orateurs de la droite, et troublèrent les délibérations ; tandis qu’au-dehors on rechercha toutes les occasions de se défaire des Girondins. Heuriot commandant de la section des Sans-Culottes, y excita les bataillons prêts à partir pour la Vendée. Guadet vit alors qu’il ne fallait plus s’arrêter à des plaintes, à des discours ; il monte à la tribune : « Citoyens, dit-il, pendant que les hommes vertueux se bornent à gémir sur les malheurs de la patrie, les conspirateurs s’agitent pour la perdre. Comme César, ils disent : Laissons-les dire, et agissons ! Eh bien ! agissez aussi. Le mal est dans l’impunité des conjurés du 10 mars, le mal est dans l’anarchie, le mal est dans l’existence des autorités de Paris, autorités avides à-la fois d’argent et de domination. Citoyens, il en est temps encore : vous pouvez sauver la république et votre gloire compromise. Je propose de casser les autorités de Paris, de remplacer dans les vingt-quatre heures la municipalité par les présidents des sections, de réunir les suppléants de la convention à Bourges dans le plus court délai, et d’envoyer ce décret aux départements par des courriers extraordinaires. » Cette motion de Guadet surprit un moment la Montagne. Si les mesures qu’il proposait avait été adoptées sur-le-champ, c’en était fait de la domination de la commune et des projets des conspirateurs ; mais il est probable aussi que les partis se seraient agités, que la guerre civile se serait étendue, que la convention eût été dissoute par l’assemblée de Bourges, tout centre d’action détruit, et que la révolution n’eût pas été assez forte contre les luttes intérieures et les attaques de l’Europe : c’est ce que craignit le parti modéré de l’assemblée. Dans la peur de l’anarchie, si l’on n’arrêtait pas la commune ; de la contre-révolution, si l’on comprimait trop la multitude, il aurait voulu maintenir la balance entre les deux extrémités de la convention. Ce parti composait les comités de sûreté générale et de salut public ; il était dirigé par Barrère, qui, comme tous les esprits justes et les caractères faibles, fut pour la modération, tant que la peur ne fit pas de lui un instrument de cruauté et de tyrannie. Au lieu des mesures décisives de Guadet, il proposa de nommer une commission extraordinaire de douze membres, chargée d’examiner la conduite de la municipalité, de rechercher les auteurs des complots ourdis contre la représentation nationale, et de s’assurer de leurs personnes. Ce terme moyen fut adopté ; mais il laissait subsister la commune, et la commune devait triompher de la convention.

La commission des douze jeta l’alarme chez les membres de la commune par ses recherches ; elle découvrit une nouvelle conjuration, qui devait éclater le 22 mai ; fit arrêter quelques conspirateurs, et entre autres le substitut du procureur de la commune, Hébert, auteur du Père Duchesne, qu’on saisit au sein même de la municipalité. La commune, d’abord stupéfaite, se mit en mesure de combattre. Dès ce moment, il ne fut plus question de complots, mais d’insurrections. Le conseil général, encouragé par les Montagnards, s’entoura des agitateurs de la capitale ; il fit répandre le bruit que les douze voulaient épurer la convention, et remplacer le tribunal qui avait acquitté Marat par un tribunal contre-révolutionnaire. Les Jacobins, les Cordeliers, les sections, se mirent en permanence. Le 26 mai, l’agitation commença à se faire sentir ; le 27, elle devint assez forte pour que la commune pût ouvrir l’attaque. Elle se présenta à la convention, et demanda la liberté d’Hébert et la suppression des douze ; elle était suivie de députés des sections, qui exprimaient le même vœu, et la salle était entourée de rassemblements considérables. La section de la Cité osa même demander que les douze fussent traduits devant le tribunal révolutionnaire. Isnard, président de l’assemblée, leur répondit d’un ton solennel : « Écoutez ce que je vais vous dire. Si jamais la convention était avilie ; si jamais, par une de ces insurrections qui se renouvellent depuis le 10 mars, et dont les magistrats n’ont pas averti l’assemblée, il arrivait qu’on portât atteinte à la représentation nationale, je vous le déclare, au nom de la France entière, Paris serait anéanti ; oui, la France entière tirerait vengeance de cet attentat, et bientôt on chercherait sur quelle rive de la Seine Paris a existé. Cette réponse devint le signal d’un grand tumulte. Je vous le déclare aussi, s’écria Danton, tant d’impudence commence à nous peser ; nous vous résisterons. » Et se tournant vers la droite : « Plus de trêve entre la Montagne et les lâches qui ont voulu sauver le tyran. »

La plus grande confusion régna alors dans la salle ; les tribunes poussaient des cris contre la droite, les Montagnards éclataient en menaces, de moment en moment les députations se succédaient du dehors, et la convention se trouvait entourée d’une multitude immense. Quelques sectionnaires du Mail et de la Butte-des-Moutins, commandés par Raffet, s’étaient placés sous les couloirs et dans les avenues pour la défendre. Les Girondins résistèrent tant qu’ils purent contre les députations et la Montagne. Menacés au-dedans, assiégés au-dehors, ils s’autorisaient de cette violence pour exciter l’indignation de l’assemblée. Mais le ministre de l’intérieur, Garat, vint leur enlever cette ressource ; appelé pour rendre compte de l’état de Paris, il assura que la convention n’avait rien à craindre ; et l’opinion de Garat, qui passait pour impartial, et que son esprit conciliateur entraînait à des démarches équivoques, enhardit les membres de la Montagne. Isnard fut obligé de quitter le fauteuil ; Hérault de Séchelles le remplaça, et ce fut pour les Montagnards le signal de la victoire. Le nouveau président répondit aux pétitionnaires, qu’Isnard avait contenus jusque-là : « La force de la raison et la force du peuple sont la même chose. Vous nous demandez un magistrat et la justice ; les représentants du peuple vous la rendront. » Il était fort tard ; la droite était découragée, quelques-uns de ses membres étaient partis ; les pétitionnaires s’étaient portés de la barre sur les sièges des représentants, et là, confondus avec les Montagnards, au milieu des cris et du désordre, ils votèrent tous ensemble la cassation des douze, et l’élargissement des prisonniers. Ce fut à minuit et demi, au bruit des applaudissements des tribunes et du peuple, que ce décret fut porté.

Peut-être eût-il été sage à la Gironde, puisqu’elle n’était pas réellement la plus forte, de ne point revenir sur cette délibération. Le mouvement de la veille ne devait pas avoir d’autre résultat que la suppression des douze, si d’autres causes ne le prolongeaient pas davantage. Mais, à ce point de violence dans les animosités, il fallait que la querelle se vidât, il fallait que les deux partis combattissent, puisqu’ils ne pouvaient plus se souffrir ; il fallait qu’ils marchassent de défaite en victoire et de victoire en défaite, en s’exaltant chaque jour davantage, jusqu’à ce que le plus fort triomphât définitivement du plus faible. Le lendemain, les membres de la droite regagnèrent le champ de bataille, dans la convention ; ils firent rapporter le décret de la veille, comme illégalement rendu, dans le tumulte, et sous l’oppression ; et la commission fut rétablie. « Vous aviez fait hier, leur dit alors Danton, un grand acte de justice. Mais, je vous l’annonce, si la commission conserve le pouvoir tyrannique qu’elle a exercé ; si les magistrats du peuple ne sont pas rendus à leurs fonctions ; si les bons citoyens ont encore à craindre des arrestations arbitraires, alors, après vous avoir prouvé que nous passons nos ennemis en prudence, en sagesse, nous les passerons en audace et en vigueur révolutionnaire. » Danton craignait d’engager le combat, et il redoutait autant le triomphe des Montagnards que celui des Girondins : aussi voulut-il tour-à-tour prévenir le 31 mai, et en modérer les résultats ; mais il se vit réduit à se joindre aux siens pendant le combat, à se taire après la victoire.

L’agitation, qui était un peu calmée par la suppression des douze, devint menaçante à la nouvelle de leur rétablissement. Les tribunes des sections et des sociétés populaires retentirent d’invectives, de cris de danger, d’appel à l’insurrection. Hébert, sorti de prison, reparut à la commune. On lui mit sur le front une couronne, qu’il déposa sur le buste de Brutus, et il courut aux Jacobins crier vengeance contre les douze. Alors Robespierre, Marat, Danton, Chaumette et Pache se réunirent pour organiser un nouveau mouvement. L’insurrection fut modelée sur celle du 10 août : on employa le 29 mai à y préparer les esprits. Le 3o, des membres du corps électoral, des commissaires des clubs, des députés des sections, s’assemblèrent à l’Évêché, se déclarèrent en insurrection, cassèrent le conseil général de la commune, le réintégrèrent ensuite, en lui faisant prêter un nouveau serment ; Henriot reçut le titre de commandant général de la force armée, et les Sans-culottes eurent quarante sous par jour, tant qu’ils seraient sous les armes. Ces déterminations prises, le 31, de grand matin, on sonne le tocsin, on bat la générale, on réunit les troupes, et l’on marche sur la convention, qui siégeait depuis quelque temps au château des Tuileries.

L’assemblée était en séance depuis long-temps ; elle s’était réunie au bruit du tocsin. Le ministre de l’intérieur, les administrateurs du département et le maire de Paris avaient été successivement appelés à la barre. Garat avait rendu compte de l’agitation de Paris, et avait paru n’en craindre aucun résultat désastreux. Lhuillier, au nom du département, avait assuré que ce n’était là qu’une insurrection morale. Le maire Pache vint le dernier, et d’une manière hypocrite il fit part des opérations des insurgés ; il prétendit avoir employé tous ses efforts à maintenir l’ordre ; il assura que la garde de la convention était doublée, et qu’il avait défendu de tirer le canon d’alarme. Mais au même instant on l’entendit retentir au loin. La surprise et l’agitation furent extrêmes. Cambon invita l’assemblée à l’union ; il réclama le silence des tribunes : « Dans ces circonstances extraordinaires, dit-il, le seul moyen de déjouer les malveillants est de faire respecter la convention nationale. – Je demande, dit Thuriot, que la commission des douze soit cassée à l’instant. – Et moi, dit Talien, que le glaive de la loi frappe les conspirateurs qui sont dans le sein même de la convention. » Les Girondins, de leur côté, veulent qu’on mande à la barre l’audacieux Henriot, pour avoir fait tirer le canon d’alarme sans l’ordre de la convention. « S’il y a un combat, dit Vergniaud, il sera, quel qu’en soit le succès, la perte de la république. Que tous les membres jurent qu’ils mourront à leur poste. » L’assemblée entière se lève, en adhérant à la proposition de Vergniaud. Danton s’élance à la tribune : « Cassez la commission des douze, s’écrie-t-il ; le canon a tonné. Si vous êtes législateurs politiques, loin de blâmer l’explosion de Paris, vous la tournerez au profit de la république, en réformant vos erreurs, en cassant votre commission. » Et comme il entendit des murmures : « C’est à ceux qui ont reçu quelques talents politiques que je m’adresse, et non à ces hommes stupides qui ne savent faire parler que leurs passions. Je leur dis : Considérez la grandeur de votre but ; c’est de sauver le peuple de ses ennemis, des aristocrates, de le sauver de sa propre colère. Si quelques hommes, vraiment dangereux, n’importe à quel parti ils appartiennent, voulaient ensuite prolonger un mouvement devenu inutile quand vous aurez fait justice, Paris lui-même les fera rentrer dans le néant. Je demande froidement la suppression pure et simple de la commission, sous le rapport politique.» La commission était violemment attaquée d’un côté, faiblement défendue de l’autre ; Barrère et le comité de salut public, qui en étaient les créateurs, proposaient sa suppression pour ramener la paix, et pour ne pas mettre l’assemblée à la merci de la multitude. Les Montagnards modérés voulaient s’arrêter à cette mesure, lorsque les députations arrivèrent. Les membres du département, ceux de la municipalité, et les commissaires des sections, admis à la barre, ne demandèrent pas seulement la suppression des douze, mais encore le châtiment de ses membres et de tous les chefs girondins.

Les Tuileries étaient alors bloquées par les insurgés, et la présence de leurs commissaires dans le sein de la convention enhardit les Montagnards extrêmes, qui voulaient détruire le parti girondin. Robespierre, leur chef et leur orateur, prit la parole, et dit : « Citoyens, ne perdons pas ce jour en vaines clameurs et en mesures insignifiantes ; ce jour est peut-être le dernier où le despotisme combattra la tyrannie ! Que les fidèles représentants du peuple se réunissent pour assurer son bonheur ! » Il pressa la convention de suivre la marche indiquée par les pétitionnaires, plutôt que celle proposée par le comité de salut public. Comme il se livrait à de longues déclamations contre ses adversaires : « Concluez donc, lui cria Vergniaud. – Oui, je vais conclure, et contre vous ! contre vous, qui, après la révolution du 10 août, avez voulu conduire à l’échafaud ceux qui l’ont faite ! contre vous, qui n’avez cessez de provoquer la destruction de Paris ! contre vous qui avez voulu sauver le tyran ! contre vous, qui avez conspiré avec Dumouriez ! contre vous, qui avez poursuivi avez acharnement les mêmes patriotes dont Dumouriez demandait la tête ! contre vous, dont les vengeances criminelles ont provoqué ces mêmes cris d’indignation dont vous voulez faire un crime à ceux qui sont vos victimes ! Eh bien ! ma conclusion, c’est le décret d’accusation contre tous les complices de Dumouriez et contre ceux qui sont désignés par les pétitionnaires ! » Malgré la violence de cette sortie, le parti de Robespierre n’eut pas la victoire. L’insurrection n’avait été dirigée que contre les douze ; et le comité de salut public, qui proposait leur suppression, l’emporta sur la commune. L’assemblée adopta le décret de Barrère, qui cassait les douze, qui mettait la force publique en réquisition permanente, et qui, pour contenter les pétitionnaires, chargeait le comité de salut public de rechercher les complots dénoncés par eux. Dès que la multitude, qui entourait l’assemblée, fut instruite de ces mesures, elle les accueillit avec applaudissements, et elle se dispersa.

Mais les conspirateurs ne voulaient point s’arrêter à ce demi-triomphe ; ils étaient allés, le 31 mai, plus loin que le 27 ; ils allèrent, le 2 juin, plus loin que le 31 mai. L’insurrection devint, de morale comme ils l’appelaient, personnelle, c’est-à-dire qu’elle ne fut plus dirigée contre un pouvoir, mais contre des députés ; elle échappa à Danton et à la Montagne, et elle échut à Robespierre, à Marat et à la commune. Dès le soir du 31, un député jacobin dit : « Qu’il n’y avait que la moitié de fait, qu’il fallait achever, et ne pas laisser le peuple se refroidir. » Henriot offrit au club de mettre à sa disposition la force armée. Le comité insurrectionnel s’établit ouvertement près de la convention. Toute la journée du 1er juin fut consacrée à préparer un grand mouvement. La commune écrivit aux sections : Citoyens, restez debout ; les dangers de la patrie vous en font une loi suprême. Le soir, Marat, qui fut le principal auteur du 2 juin, se rendit à l’Hôtel-de-Ville, monta lui-même à l’horloge, et sonna le tocsin ; il invita les membres du conseil à ne pas désemparer, qu’ils n’eussent obtenu le décret d’accusation contre les traîtres et les hommes d’état. Quelques députés se réunirent dans la convention, et les conspirateurs vinrent demander le décret contre les proscrits ; mais ils n’étaient pas encore assez en force pour les arracher à la convention.

Toute la nuit se passa en préparatifs ; le tocsin sonna, la générale battit, les rassemblements se formèrent. Le dimanche matin, vers huit heures, Henriot se présenta au conseil général, et déclara à ses complices, au nom du peuple insurgé, qu’on ne déposerait les armes qu’après avoir obtenu l’arrestation des députés conspirateurs. Il se mit ensuite à la tête des immenses attroupements qui étaient sur la place de l’Hôtel-de-Ville, les harangua, et donna le signal du départ. Il était près de 10 heures lorsque les insurgés arrivèrent sur la place du Carrousel. Henriot plaça autour du château les bandes les plus dévouées, et bientôt la convention fut investie par quatre-vingt mille hommes, dont le plus grand nombre ignorait ce qu’on exigeait de lui, et était plus disposé à défendre qu’à attaquer la députation.

La plupart des proscrits ne s’étaient point rendus dans l’assemblée. Quelques-uns, courageux jusqu’au bout, étaient venus braver l’orage pour la dernière fois. Dès le commencement de la séance, l’intrépide Lanjuinais monte à la tribune : « Je demande, dit-il, à parler sur la générale, qui bat dans tout Paris. » Il est aussitôt interrompu par les cris à bas ! à bas ! il veut la guerre civile ! il veut la contre-révolution ! il calomnie Paris ! il insulte le peuple ! Malgré les menaces, les outrages, les cris de la Montagne et des tribunes, Lanjuinais dénonce les projets de la commune et des factieux ; son courage augmente avec ses périls. « Vous nous accusez, dit-il, de calomnier Paris ! Paris est pur, Paris est bon, Paris est opprimé par des tyrans, qui veulent du sang et de la domination. » Ces paroles deviennent le signal du plus violent tumulte ; plusieurs députés montagnards se précipitent vers la tribune pour en arracher Lanjuinais qui s’y attache fortement, et qui, avec l’accent du plus généreux courage, s’écrie encore : « Je demande que toutes les autorités révolutionnaires de Paris soient cassées ; je demande que tout ce qu’elles ont fait depuis trois jours soit nul ; je demande que tous ceux qui voudront s’arroger une autorité nouvelle, contraire à la loi, soient mis hors de la loi, et qu’il soit permis à tout citoyen de leur courir sus. » À peine a-t-il achevé, que les pétitionnaires insurgés viennent demander son arrestation et celle de ses collègues. « Citoyens, disent-ils en finissant, le peuple est las de voir ajourner son bonheur, il le laisse encore un instant dans vos mains ; sauvez-le, ou nous vous déclarons qu’il va se sauver lui-même ! »

La droite demande l’ordre du jour sur la pétition des insurgés. La convention passe à l’ordre du jour. Aussitôt les pétitionnaires sortent dans une attitude menaçante, les hommes quittent les tribunes, on crie aux armes, et un grand bruit se fait entendre au-dehors. Sauvez le peuple de lui- même, dit un Montagnard, sauvez vos collègues, en décrétant leur arrestation provisoire. Non, non, répondent la droite et même une partie de la gauche. – Nous partagerons tous leur sort, s’écrie Lareveillère Lepeaux. Le comité de salut public, chargé de faire un rapport, épouvanté de la grandeur du péril, proposa, comme au 31 mai, une mesure en apparence conciliatoire, pour satisfaire les insurgés sans sacrifier entièrement les proscrits. « Le comité s’adresse, dit Barrère, au patriotisme, à la générosité des membres accusés : il leur demande la suspension de leur pouvoir, en leur représentant que c’est la seule raison qui puisse faire cesser les divisions qui affligent la république, et y ramener la paix. » Quelques-uns d’entre eux adhérèrent à cette mesure. Isnard se suspendit lui-même ; Lanthénas, Dussaulx, et Fauchet imitèrent son exemple. Lanjuinais ne le suivit point. « J’ai, je crois, jusqu’à ce moment, montré quelque courage, dit-il, n’attendez de moi ni suspension, ni démission. » Violemment interrompu, « Quand les anciens, ajouta-t-il, préparaient un sacrifice, ils couronnaient la victime de fleurs et de bandelettes, en la conduisant à l’autel : le prêtre l’immolait, mais il ne l’insultait pas. » Barbaroux fut aussi ferme que Lanjuinais. « J’ai juré, dit-il, de mourir à mon poste ; je tiendrai mon serment.» Les conjurés de la Montagne s’élevèrent eux-mêmes contre la proposition du comité. Marat prétendit qu’il fallait être pur pour faire des sacrifices, et Billaud-Varennes demanda le jugement des Girondins et non leur suspension.

Pendant que ce débat avait lieu, un député de la Montagne, Lacroix, entre précipitamment dans la salle, s’élance à la tribune, déclare qu’il vient d’être insulté à la porte, qu’on l’a empêché de sortir, et que la convention n’est pas libre. Un grand nombre de Montagnards s’indignent contre Henriot et contre ses troupes. Danton dit qu’il faut venger vigoureusement la majesté nationale outragée. Barrère propose à la convention de se présenter au peuple : « Représentants, dit-il, ordonnez votre liberté, suspendez votre séance, faites baisser devant vous les baïonnettes qui vous entourent. La convention entière se lève, et se met en marche, précédée de ses huissiers, ayant en tête son président, couvert en signe de détresse. Elle arrive à une issue qui donnait sur la place du Carrousel, et trouve Henriot à cheval, et le sabre à la main. « Que demande le peuple ? lui dit le président Hérault de Séchelles, la convention n’est occupée que de son bonheur. – Hérault, répond Henriot, le peuple n’est pas levé pour écouter des phrases ; il veut qu’on lui livre vingt-quatre coupables. – Qu’on nous livre tous, » s’écrient ceux qui entourent le président. Henriot se retourne alors vers les siens, et crie, Canonniers, à vos pièces ! Deux canons sont pointés sur la convention, qui recule, entre dans le jardin, le traverse, et se présente à plusieurs passages qu’elle trouve également fermés. Partout les soldats sont sous les armes, Marat parcourt leurs rangs ; il excite, il encourage les insurgés : « Point de faiblesse, leur dit-il, ne quittez pas votre poste qu’on ne vous les ait livrés.» La convention rentre alors dans l’enceinte de ses séances, accablée de son impuissance, convaincue de l’inutilité de ses efforts, et tout-à-fait asservie. L’arrestation des proscrits n’est plus combattue. Marat, vrai dictateur de l’assemblée, décide souverainement du sort de ses membres. « Dussaulx, dit-il, est un vieillard radoteur, incapable d’être chef de parti ; Lanthénas est un pauvre d’esprit, qui ne mérite pas qu’on songe à lui ; Ducos n’a eu que quelques opinions erronées, et ne saurait être un chef contre-révolutionnaire. Je demande qu’on les excepte et qu’on les remplace par Valazé. » Et l’on retranche de la liste Dussaulx, Lanthénas, Ducos, et l’on y ajoute Valazé. La liste fut ainsi arrêtée, sans que la moitié de l’assemblée prît part au décret.

Voici les noms de ces illustres proscrits. On décréta d’arrestation les Girondins Gensonné, Guadet, Brissot, Gorsas, Pétion, Vergniaud, Salles, Barbaroux, Chambon, Buzot, Birotteau, Lidon, Rabaud, Lasource, Lanjuinais, Grangeneuve, Lehardi, Lesage, Louvet, Valazé, le ministre des affaires étrangères Lebrun, le ministre des contributions Clavière, et les membres des douze Kervelegan, Gardien, Rabaud-Saint-Étienne, Boileau, Bertrand, Vigée, Molleveau, Henri-Larivière, Gomère et Bergonin. La convention les mit en détention chez eux, et les plaça sous la sauve-garde du peuple. Dès ce moment, la consigne qui retenait l’assemblée prisonnière fut levée, et la multitude s’écoula ; mais dès ce moment aussi, il n’y eut plus de convention libre.

Ainsi succomba le parti de la Gironde, parti illustre par de grands talents et de grands courages, parti qui honora la république naissante par l’horreur du sang, la haine du crime, le dégoût de l’anarchie, l’amour de l’ordre, de la justice et de la liberté ; parti mal placé entre la classe moyenne, dont il avait combattu la révolution, et la multitude dont il repoussait le gouvernement. Condamné à ne pas agir, ce parti ne put qu’illustrer une défaite certaine, par une lutte courageuse et par une belle mort. À cette époque, on pouvait avec certitude prévoir sa fin : il avait été chassé de poste en poste : des Jacobins, par l’envahissement des Montagnards ; de la commune, par la sortie de Pétion ; du ministère, par la retraite de Roland et de ses collègues ; de l’armée, par la défection de Dumouriez. Il ne lui restait plus que la convention ; c’est là qu’il se retrancha, qu’il combattit, et qu’il succomba. Ses ennemis essayèrent tour-à-tour, contre lui, et des complots et des insurrections. Les complots firent créer la commission des douze, qui parut donner un avantage momentané à la Gironde, mais qui n’en excita que plus violemment ses adversaires. Ceux-ci mirent le peuple en mouvement, et ils enlevèrent aux Girondins, d’abord leur autorité en détruisant les douze, ensuite leur existence politique en proscrivant leurs chefs.

Les suites de ce désastreux événement ne furent selon la prévoyance de personne. Les Dantonistes crurent que les dissensions des partis seraient terminées, et la guerre civile éclata. Les modérés du comité de salut public crurent que la convention reprendrait toute la puissance, et elle fut asservie. La commune crut que le 31 mai lui vaudrait la domination, qui échut à Robespierre, et à quelques hommes dévoués à sa fortune ou à l’extrême démocratie. Enfin, il y eut un parti de plus à ajouter aux partis vaincus, et dès-lors aux partis ennemis : et comme on avait fait, après le 10 août, la république contre les constitutionnels, on fit, après le 31 mai, la terreur contre les modérés de la république.

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